Seuls

Passons aux choses sérieuses. Nous sommes seuls. Dans l’univers. Je sais, j’ai tenté de vous convaincre exactement du contraire il y a 18 mois (« Les visiteurs »). Le Pentagone avait révélé au New York Times, entre autres, que les phénomènes inexpliqués étaient nombreux et issus de technologies inexistantes sur Terre. Fin juillet, un expert a dit sous serment au Congrès qu’il connaissait des gens qui avaient travaillé sur des débris venus d’ailleurs. Mais on n’a pas pu entendre ces gens ou voir les débris. Ce n’est pas la première fois que des gens crédibles font ce genre d’affirmation. Presque chaque fois, des informations supplémentaires jettent un doute sur ces récits. Voir à ce sujet, notamment, la série documentaire de J.J. Abrams UFO (sur Crave). On en sort dans un état de grande perplexité. Un récent rapport de la NASA tente aussi de nous convaincre que les phénomènes inexpliqués sont en réalité peu nombreux et qu’ils deviendront compréhensibles lorsqu’on raffinera nos techniques de surveillance, ce qui est en cours.

Puisque les entrelacs de vérité et de désinformation semblent intrinsèques au dossier de ce que je continuerai à appeler des ovnis, l’argument le plus prégnant pour soutenir la thèse de l’existence de vie intelligente ailleurs que chez nous est statistique. Il y a des milliards de planètes tournant autour de milliards de soleils dans des milliards de galaxies, il serait donc simplement mathématiquement certain que, quelque part, des conditions semblables à celles qui ont permis l’émergence de l’intelligence sur Terre se soient reproduites. Des formules mathématiques célèbres tentent de cerner le phénomène. L’équation de Drake, notamment, offre une méthode qui, à mesure que notre connaissance de l’univers progresse, devrait permettre de faire cette évaluation.

À l’institut américain SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), une centaine de scientifiques travaillent à temps plein sur chacune des variables de cette équation et sur des méthodes d’identification de signaux venus d’autres mondes. C’est du sérieux.

S’il est donc facile de trouver des mathématiciens, des astronomes et des astrophysiciens qui défendent cette logique, les biologistes, surtout les spécialistes de l’évolution des espèces, la trouvent très drôle. « Ce n’est pas un signe d’intelligence de croire à des signes d’intelligence extraterrestre », disait notamment Francisco Ayala, expert américain dans son domaine, décédé plus tôt cette année. « Celui qui comprend l’évolution se rend compte que peu importe le nombre de milliards de milliards de milliards de milliards de planètes, ajoutait-il, la probabilité que la vie intelligente se soit produite est si insignifiante qu’elle ne pourrait plus jamais se reproduire. »

C’est que, selon eux, la série d’événements qui se sont succédé sur Terre depuis l’apparition de l’amibe jusqu’au développement de cerveaux intelligents est tellement extraordinairement improbable qu’aucun nombre de planètes dans l’univers ne peut arriver à la cheville de ce niveau statistique. C’était aussi l’opinion de Stephen Hawking, pourtant astrophysicien : « On peut s’attendre à trouver beaucoup d’autres formes de vie dans la galaxie, mais c’est très improbable que nous trouvions de la vie intelligente. » Ce qui ne l’empêchait pas de trouver très imprudent de faire connaître notre position à ces improbables extraterrestres, car s’ils existent et nous trouvent, c’est que leur technologie est supérieure à la nôtre, ce qui est embêtant puisque rien ne dit qu’ils seront bienveillants.

Le second raisonnement des négationnistes de l’existence d’extraterrestres noircit encore le portrait. Le développement de la vie, sur Terre ou ailleurs, ne culmine pas par l’intelligence, expliquent-ils. Sinon, tous les organismes finiraient par venir bavarder avec nous. Or, leur motivation première est de s’adapter à leur environnement et de se reproduire. Même si nous sommes désormais 8 milliards, nous sommes loin d’être l’espèce ou l’organisme qui se reproduit le plus ou le mieux. Même notre génome n’est pas le plus complexe sur Terre. Nous possédons environ 23 000 gènes. Nous sommes battus par… une puce ! Oui, la puce d’eau douce Daphnia pulex en a près de 31 000 ! On ne peut même pas se rabattre sur le nombre de paires de bases dans l’ADN, une bonne mesure de complexité. Nous en avons 3,1 milliards, ce qui paraît beaucoup. Une fleur appelée Paris japonica, que l’on trouve sur les montagnes du Japon, en a 50 fois plus !

Le psychologue évolutionniste Steven Pinker résume la chose ainsi : « L’évolution concerne les fins, pas les moyens ; devenir intelligent n’est qu’une option. » Ce n’est donc même pas une conséquence de la complexité. Même dans un milliard d’années, la Paris japonica n’aura pas inventé le tournevis !

J’avoue que mon apprentissage, tardif, de cette vision des choses (je suis tombé dessus en écoutant une vidéo de l’excellente série scientifique Closer to Truth, disponible sur YouTube), ne me réjouit nullement. À l’heure où on s’éveille aux conséquences néfastes, pour la santé mentale, de l’isolement et de la solitude, il serait plus réconfortant de se faire dire que nous avons des centaines de cousins inconnus dans le cosmos. Même si certains d’entre eux ont la gâchette un peu facile sur le rayon laser.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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