Un journaliste historien

Un journaliste historien

Dans l’oeil de l’aigle américain, le Québec apparaît comme un pays viable. Une oeuvre de grande qualité.

René Durocher, historien

L’actualité, mai 1990


Il arrive qu’on accuse les spécialistes de l’histoire contemporaine de ne faire que du journalisme. Si c’est du journalisme à la manière de Jean-François Lisée, c’est en fait un compliment. Lisée a réussi un tour de force : il a consulté des centaines de documents inédits souvent secrets et rencontré 240 personnes mêlées de près aux relations Québec-Ottawa-Washington. A vrai dire, seul un journaliste de grande envergure peut développer un réseau d’information d’une telle richesse, l’exploiter avec autant de succès et réaliser une oeuvre de si grande qualité.

Jean-François Lisée a suivi pas à pas l’évolution de la politique américaine face au mouvement indépendantiste au Québec, depuis le début des années 60 jusqu’à nos jours. C’est un récit fascinant qui se joue non seulement à Québec, Ottawa et Washington, mais aussi à Paris.

C’est du journalisme à son meilleur : alerte et percutant. Si vous pensez que l’histoire, et en particulier l’histoire diplomatique, est une chose ennuyeuse, la lecture de Dans l’oeil de l’aigle (Boréal) vous démontrera qu’elle peut être aussi passionnante que le meilleur roman d’espionnage.

Comme l’a bien souligné l’auteur, au-dessus de toute réflexion sur le Québec, plane toujours l’ombre de l’aigle américain et la même interrogation : que feraient les Américains si le Québec devenait indépendant ? Rien du tout, laisse entendre l’auteur, à condition que les Québécois décident démocratiquement de leur avenir et qu’ils ne menacent pas la sécurité des Etats-Unis.

On semble découvrir à l’occasion du débat sur l’entente – ou plutôt la mésentente – du lac Meech qu’un Québec indépendant serait viable. Il y a longtemps que les plus hautes autorités américaines l’ont compris. Ainsi, dans un rapport secret très substantiel du Département d’État américain (le ministère des Affaires étrangères), on écrit en août 1977 : « Il n’y a aucun doute sur la viabilité à long terme d’un Québec indépendant en termes économiques… »

Il est vrai que les documents émanant des ambassadeurs américains à Ottawa, des consuls américains à Québec et à Montréal, ou des membres du Conseil national de sécurité, du Département d’État, de la CIA et du Pentagone qu’a dépouillés Lisée, , ne font pas tous preuve de la même perspicacité. Chose certaine, le gouvernement américain disposait d’une formidable machine pour colliger et analyser l’information. Le gouvernement canadien aurait eu sans doute avantage à engager certains analystes américains pour mieux comprendre le Québec.

L’auteur trait aussi de personnages dont plusieurs, comme Robert-Guy Scully ou le général Dextraze, ne seront sûrement pas très heureux qu’on rappelle certains faits ou certains écrits.

Ce livre représente une contribution exceptionnelle à notre connaissance de l’histoire récente du Québec et il nous démontre que la politique américaine à l’égard du Québec a été passablement plus intelligente qu’on ne le croyait. Les Québécois, les Canadiens anglais et leur gouvernants auraient intérêt à lire ce livre où on trouvera quelques très bonnes leçons sur la politique américaine et sur les relations internationales.

René Durocher, professeur d’histoire à l’Université de Montréal est coauteur, notamment, de l’Histoire du Québec contemporain en deux tomes, parue chez Boréal en 1979 et 1986

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !