Yo, fille, le sugaring, c’est chill !

Saviez-vous que « la pratique du sugaring est souvent abordée de façon sensationnaliste dans les espaces publics ou du moins sans en présenter les nuances pourtant importantes ». C’est fâcheux. Examinons d’abord cette définition de sugaring, nimbée de langage inclusif : c’est « la relation entre un·e sugar baby (SB) et un sugar daddy (SD) ou parfois une sugar mommy. Dans cette relation, la SB offre sa compagnie pour diverses activités. Le SD offre des cadeaux, de l’argent et paie pour toutes ces activités. La majorité du temps, cette relation a des composantes sociales, économiques, affectives et sexuelles ».

Je tire ce savoir d’un livret joliment illustré et intitulé Informe-toi sur le sugaring, produit par le PIAMP, (Projet d’intervention auprès des mineur·es prostitué·es) et destiné aux jeunes de 12 à 25 ans. Comme plusieurs autres organismes et syndicats, le PIAMP participe au site de la Coalition Édusex où des enseignants de primaire et de secondaire vont piger du contenu pédagogique pour leurs cours d’éducation sexuelle. Le site n’est pas explicitement recommandé par le ministère de l’Éducation, mais une enseignante m’informe qu’il apparaît souvent dans les échanges Facebook entre profs à la recherche de contenus.

Il faut se rendre sur le site du PIAMP pour trouver le livret, mais directement sur Édusex apparaît une autre publication du PIAMP, Et si on jasait sexting — Un guide pratique qui t’accompagne dans tes prises de décisions. Ce texte est remarquable par la qualité des renseignements, légaux et éthiques, communiqués aux jeunes. Le PIAMP ne condamne pas la pratique — une étude indique que plus de 10 % des adolescents canadiens envoient des photos d’eux-mêmes nus, 20 % en reçoivent. Mais les risques du sexting y sont si clairement établis que l’effet dissuasif est net.

Le livret sur le sugaring est au contraire hautement problématique. Certes, il indique explicitement que l’échange de faveurs sexuelles d’un mineur contre rémunération est un acte criminel et constitue, légalement, de « l’exploitation sexuelle », mais ajoute : « Au PIAMP, on ne croit pas que le sugaring soit automatiquement de l’exploitation sexuelle ». L’organisme estime que la pratique « convient à certaines personnes, par exemple parce qu’iels y construisent des relations de confiance et se sentent respecté·es et supporté·es par leur SD ».

Je serais curieux de savoir ce que pensent de cette validation d’une pratique illégale les commanditaires du groupe, notamment le Programme de soutien aux organismes communautaires du ministère québécois de la Santé, la Fondation des jeunes de la DPJ et la Ville de Montréal.

Curieux aussi de connaître l’ampleur de la diffusion du livret. Dans son rapport annuel 2021-2022, le PIAMP annonce que son guide sur le sexting a été distribué ou téléchargé plus de 800 fois, une bonne nouvelle. Mais celui sur le sugaring venait de sortir et ne fut rendu d’abord disponible que sur Instagram. Il fait cependant l’objet d’une nouvelle campagne de sensibilisation de l’organisme. Le rapport nous informe aussi qu’en plus de son travail de rue auprès des jeunes prostituées, le PlAMP est actif à l’école secondaire Marie-Anne, dans l’est de la ville, distribue son matériel dans les kiosques tenus lors d’événements festifs et, une fois, au cégep du Vieux Montréal.

Je ne mets nullement en cause le travail de soutien du PlAMP auprès de jeunes qui, souvent par contrainte, parfois par choix, s’adonnent à la prostitution, d’autant que l’organisme leur offre une aide psychologique, distribue du matériel contre les maladies transmissibles sexuellement et des produits d’hygiène.

Mais pour l’ado audacieuse qui n’avait pas envisagé de devenir sugar baby, le guide dédramatise la relation et procure un utile mode d’emploi. On y explique que « l’arrangement » est négocié en début de relation, les plus courants étant les Pay per Meet où les SB reçoivent un montant à chaque rencontre, ou alors des forfaits en début de mois pour un certain nombre de rencontres. Lorsqu’on affiche sa disponibilité sur les réseaux sociaux ou sur des pages spécialisées, il faut user d’un code. Puisque l’échange sexuel rémunéré est interdit, surtout pour les mineurs, il est convenu d’indiquer son intérêt pour des « moments intimes ».

Les intéressées sont averties que, compte tenu de la différence d’âge, les sugar daddy peuvent tenter de manipuler ou de pousser leurs SB à franchir les limites qu’elles s’étaient imposées. « Comme ils donnent de l’argent, certains SD pensent que les SB devraient répondre à toutes leurs demandes », avertit le guide. La SB « peut faire face à de la violence verbale, émotionnelle, économique, sexuelle ou physique. Tu n’as pas à endurer cette violence. Il y a des ressources disponibles pour t’aider ».

Les sugar daddy peuvent exiger une relation exclusive. C’est un pensez-y-bien : « ce genre d’entente peut également entraîner une certaine dépendance financière envers le SD. Si possible, pense à conserver d’autres options pour subvenir à tes besoins afin d’avoir un filet de sécurité si la relation ne fonctionne plus ». Mais il arrive que tout se passe si bien qu’on veuille présenter son SD à ses amis et à sa famille, au point que « certaines relations deviennent aussi engageantes qu’une relation de couple ».

Malheureusement, note le livret, « la stigmatisation du travail du sexe n’épargne pas les SB. Il se peut que tu ne te sentes pas à l’aise d’en parler à tes proches et que tu craignes leur jugement ou que tu aies peur pour ta sécurité si tu leur en parlais. Cependant, pour ta sécurité et ta santé mentale, il est bon de ne pas s’isoler et se construire un réseau de soutien ». J’ai demandé à une responsable du PlAMP si ce livret n’était pas une incitation au sugaring plutôt qu’une mise en garde. Elle m’a répondu qu’il s’agissait d’une « approche de réduction des méfaits ». Cela ne m’a pas convaincu. Vous ?

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

3 avis sur « Yo, fille, le sugaring, c’est chill ! »

  1. « L’organisme estime que la pratique « convient à certaines personnes, par exemple parce qu’iels y construisent des relations de confiance et se sentent respecté·es et supporté·es par leur SD ».
    Vous auriez dû relever leurs fautes (avec leur utilisation ridicule du faux pronom tel), car parle de « personnes » et c’est un mot féminin : « par exemple parce qu’elles y construisent des relations de confiance et se sentent respectées et supportées par leur SD »

  2. « C’est dans cet objectif que le PIaMP a souhaité construire un outil en français qui informe sur le réalité de la pratique sans tomber dans le sensationnalisme. »

    Et il fallait quelqu’un pour en faire un article sensationnaliste. Ne cherchez pas plus loin.

    Considérant que le suggaring est une pratique légale (telles que celles de la consommation d’alcool, des jeux de hasard ou bien de la consommation de cigarette, pour ne nommer qu’elles), il m’apparaît nécessaire qu’un organisme produise un document non-stigmatisant pour expliquer les us et coutumes, pièges et avertissements concernant cette pratique méconnue.

    On attendra le prochain feuillet de JF Lisée décriant les annonces de la SAQ, Éduc-alcool ou Loto-Québec. Bon, bien évidemment, ces « vices » sont socialement acceptés. Peut-être obtiendront-ils un traitement de faveur?

    • La SAQ, Éduc-alcool et Loto-Québec ne font pas de communications à l’intention de personnes de 12 à 17 ans. Si vous ne voyez pas de problème avec le « sugaring » de mineurs, vous faites partie du problème.

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