Si je vous disais tout ce que j’ai lu pendant ma période maoïste, à la fin des années 1970, vous ne me croiriez pas. Voyez tout de même. Je me suis tapé les trois tomes de l’« autobiographie » d’Enver Hodja, le dictateur communiste albanais. Étonnamment, c’était assez prenant. Je suppose maintenant que le véritable auteur était un romancier talentueux mais dissident, enchaîné à une table de métal dans une cellule au troisième sous-sol du palais présidentiel, à qui on avait promis, s’il rendait la chose palpitante, de le surclasser au deuxième. Il y avait aussi Et l’acier fut trempé, du Soviétique Nikolaï Ostrovski. Un récit des atroces combats post-1917 où la traque des trotskistes, ces ex-révolutionnaires dont on découvre avec effroi qu’ils étaient depuis le début des suppôts du grand capital, laisse pantois.
C’étaient les lectures distrayantes. Les lectures sérieuses portaient sur la théorie, surtout celles du Grand Timonier Mao, dont son oeuvre maîtresse, De la juste solution des contradictions au sein du peuple. Le groupuscule auquel j’appartenais s’obstinait à déclarer que, malgré le goulag et autres atrocités, Staline était en dernière analyse un bon gars. Il s’appuyait pour défendre ce point de vue absurde sur le bilan qu’en avait tiré le camarade Mao dans son texte Sur les dix grands rapports. En conclusion, Mao donnait 7 sur 10 au petit père des peuples. Étudiant en droit, j’entamai la lecture du livre, crayon à la main, pour suivre la démonstration, notant positivement ou négativement chacun des 10 aspects couverts. J’arrivais bien à 7/10, mais à 7 résultats négatifs. Le texte de Mao était-il donc codé ? Combien étions-nous, en Chine, en Russie et dans le monde, à l’avoir correctement déchiffré ? Sur la question de Staline, donc, je resterais sur mes positions, un dissident.
Puis, je tombai sur un livre du leader vietnamien Hô Chi Minh, que j’avais en grande estime, à l’instar de Jane Fonda. Il portait sur l’épineuse question du quant-à-soi. C’est entendu, le militant communiste doit obéir aveuglément à ses supérieurs qui, grâce au matérialisme dialectique, une science nous disait-on, elle-même opérationnalisée dans les rouages du centralisme démocratique, ne pouvaient produire que la ligne juste. Une façon de dire qu’ils avaient toujours raison. Mais si le militant avait un doute ? Avait-il le droit, non de l’exprimer, ce qui affaiblirait la discipline de combat, mais de le préserver dans sa tête, dans le fond de son quant-à-soi ? Le camarade Hô était formel. La réponse était non. Le militant devait chasser le doute de son esprit. Le quant-à-soi était, à sa face même, contrerévolutionnaire. J’avoue qu’à cause de cette lecture, Hô chuta beaucoup dans mon estime (pas Jane Fonda). Je décidai que je garderais mon quant-à-soi quant à moi quoi qu’en disent les qu’en-dira-t-on des camarades.
La prose de Hô m’est revenue en tête, ces derniers jours, alors que fait rage un débat à l’intersection des droits de la personne et des choix vestimentaires. Pour célébrer la Fierté gaie et soutenir les droits LGBTQ, la Ligue nationale de hockey a pris, depuis 2018, l’habitude d’organiser un match-bénéfice, avant lequel elle demandait à tous les joueurs de porter, pendant la période d’échauffement, un chandail aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Plusieurs joueurs se sont rebiffés. À Montréal, le Russe Denis Gurianov a évoqué des « motifs de sécurité familiale ». Le pouvoir — et l’opinion — russe étant très réfractaire aux droits LGBTQ, il laissait entendre que, s’il portait l’arc-en-ciel, cela pourrait mal se passer pour les siens. Trois joueurs russes de l’équipe de Chicago ont fait de même. Puis, un joueur de San José, deux de Floride, un de Philadelphie et un de Vancouver ont exprimé le même refus, citant dans leur cas des convictions religieuses. En effet, plusieurs grandes religions sont homophobes. Il pourrait y avoir d’autres cas de figure. Des joueurs qui appuient les droits LGBTQ et les efforts pour rendre le hockey plus inclusif, mais qui préfèrent ne pas afficher de logo. La majorité des gais, si on y pense, ne participe pas aux défilés de la Fierté. Puis, il y a ceux qui sont favorables en général, mais qui estiment que certaines des revendications des groupes représentés dans l’alphabet LGBTQIA2S+ peuvent être problématiques. Notamment avec ce « + », qui peut vouloir dire beaucoup de choses. Exiger par exemple la présence de femmes trans, donc nées hommes, dans le sport féminin. Pourquoi prendre le risque de s’associer à ce qu’on ne soutient pas, ou ne comprend pas ?
Heureusement, au Québec, et en l’absence de la regrettée Denise Bombardier, nous pouvons nous rabattre sur la sagesse de la co-porte-parole féminine de Québec solidaire, Manon Massé, pour guider notre pensée. Réagissant cette semaine à la décision de la LNH de maintenir ses activités annuelles de soutien à la cause LGBTQ, au Mois de l’histoire des Noirs et à la cause autochtone, mais de mettre fin à sa pratique d’obliger les joueurs à porter les symboles de ces causes pendant un entraînement, elle a bondi : « Je ne comprends pas pourquoi la LNH a si facilement plié aux pressions des gens qui sont contre nous en retirant la journée de pratique aux couleurs de la Fierté. » Elle souhaite que la LNH fasse marche arrière, ajoutant : « Si toutefois quelques joueurs ne veulent pas le porter, qu’ils réchauffent le banc pendant longtemps ! Car exclure les personnes LGBTQIA2S+ des sports, c’est les mettre, eux et elles, au banc de l’exclusion. »
Un décodage s’impose sur la question inclusion/exclusion. Mme Massé estime que ne pas forcer tous les joueurs à afficher les couleurs de la cause LGBTQ signifie exclure les personnes gaies des sports. Ce que même Hô aurait appelé un non sequitur, c’est-à-dire un argument dépourvu de logique. Le droit des gais à être inclus dans toutes les sphères de la société, y compris les vestiaires, est une excellente décision collective, assise dans nos chartes des droits. Mais nulle part n’est inscrite l’obligation de porter les couleurs de cette cause, ou de toute autre. Au contraire, et à l’opposé des régimes communistes, nos chartes garantissent la « liberté de conscience », notre version légale du quant-à-soi. Si Mme Massé souhaite exclure et stigmatiser les joueurs qui, en conscience, refusent de porter un jack-strap arc-en-ciel, j’ai dans mes archives un vieux bouquin d’Hô Chi Minh dont elle raffolera, j’en suis certain.
PS. Un lecteur m’a signalé cet extrait de Seinfeld, excellente illustration de mon propos:
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
En résumé, retenir de ma relecture de la préface de Citations du Président Mao Tsé-Toung, que cette sélection des extraits de sa pensée est de Lin Paio. Foule inspirante !
Mais, en mise à ère de révolution locale, Québec, évolution, qui de mieux que Mao, maintenant que le danger de surpopulation de la terre est presque écarté ?
P.S. Le correcteur me signale d’un pointillé rouge qu’il ne se souvient pas de Lin Piao.
… Vous me faites relire du petit livre rouge : Citations du président Mao Tsé-toung, Pékin, 1966, préface de Lin Piao. J’avais 20 ans … et quand on aime, on a toujours 20 ans; n’est-ce pas Jean-Pierre !
Si les héros passent avec le temps, qu’est-ce qui reste, zéro ?
Attendez que je me rappelle …
La culture est ce qui reste quand on a tout oublié.