1995 : Le plus grand mensonge de Jean Chrétien

Le « Shawinigan Handshake »

(Pour ses 90 ans, en janvier 2023, une soirée hommage est organisée à Ottawa pour Jean Chrétien. Personne ne mentionnera ceci.)

Nous avons été trop durs avec ce pauvre Pierre Trudeau. Nous l’avons accablé. Simplement parce qu’en mai 1980, à la veille du premier référendum sur la souveraineté, il a solennellement promis que si les Québécois votaient non, il y aurait « du changement ».

L’ayant applaudi ce soir-là, le chef québécois du camp du Non, Claude Ryan, comme un jeune conservateur nommé Brian Mulroney affirment avoir compris que ces «changements » offriraient au Québec davantage d’autonomie.

Trudeau allait au contraire lui en enlever, dans une Constitution écornant le pouvoir des Québécois de gérer à leur guise leur système scolaire et leur langue. Ryan et le chef du camp du Non de 1995, Daniel Johnson, allaient par écrit utiliser le mot « trahison » pour caractériser l’écart entre la promesse de Trudeau et sa conséquence.

Rétrospectivement, j’affirme qu’ils ont été trop durs. Car nous avons maintenant un point de comparaison qui rend bien timide l’ambiguïté coupable de Trudeau par rapport à la brutale clarté de son successeur, Jean Chrétien. Il y a 15 ans, cinq jours avant le référendum de 1995, l’élève a dépassé le maître.

Et grâce aux mémoires publiés ainsi qu’aux entrevues offertes depuis par les principaux protagonistes, nous savons maintenant comment a été conçu et exécuté un des grands mensonges de notre histoire.

Dans la semaine précédant le référendum, Jean Chrétien et son entourage sont inquiets. Eux qui croyaient asséner aux souverainistes une défaite historique — et les pousser en deçà de leur score de 40 % de 1980 — s’éveillent à la possibilité d’une courte victoire du Oui. Dans l’urgence et dans plus d’un brin de panique, Chrétien et ses ministres entrent dans la campagne du Non comme un éléphant dans une partie de quilles en train d’être perdue.

Le premier ministre décide de parler fort et de parler deux fois. D’abord lors d’un grand rassemblement à Verdun, au sud-ouest de Montréal. Puis dans un solennel discours à la nation. Il ne doit pas manquer son coup. Selon la phrase célèbre d’un de ses conseillers : « Il faut tirer pour tuer la proie, sinon à quoi bon ? » Ces deux discours doivent ramener les indécis dans le camp du statu quo. Mais comment s’y prendre ?

L’aveu du conseiller

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Dans The Way It Works, ses mémoires publiés en 2006, le conseiller de Chrétien Eddie Goldenberg révèle que le débat sur l’opportunité de mentir aux Québécois a eu lieu au moment de la rédaction des textes. Jean Chrétien, le conseiller Patrick Parisot (maintenant chez Ignatieff) et Eddie Goldenberg scrutent le dilemme.

Si Chrétien, raconte Goldenberg,

« disait brutalement qu’un vote pour le Oui signifiait l’éclatement du Canada, comment pourrait-il affirmer la semaine suivante que le référendum était illégitime parce que la question n’était pas claire ? D’autre part, s’il ne disait pas qu’un vote pour le Oui signifiait l’éclatement du pays, alors les forces du Oui avaient une bien meilleure chance de gagner. »

Ce dilemme existe parce que le premier ministre a déjà décidé qu’il ne reconnaîtra pas la légitimité d’une victoire du Oui. Il l’a affirmé en privé à plusieurs proches, il le confirmera au lendemain du vote, déclarant qu’il aurait « défendu la Constitution », qui ne prévoit pas de sécession possible. Il le redit dans ses propres mémoires.

L’enjeu étant clairement posé dans la rencontre entre les conseillers et le chef, le premier ministre Chrétien, l’enfant de Shawinigan, trancha ainsi, selon Goldenberg :

« Faisons tout ce qu’on peut faire pour gagner cette semaine. Si on perd quand même, cela ne m’empêchera pas d’affirmer que la question était trop ambiguë pour être prise comme un mandat de se séparer. Écrivez-moi un discours précisant que l’enjeu du référendum est de rester dans le Canada ou de le quitter. Mettez cette déclaration dans mon discours pour Verdun, puis dans mon message télévisé. »

Intéressant que Goldenberg reporte la responsabilité d’un tel non-respect de l’éthique sur Chrétien, en le citant aussi longuement. Mais qu’en dit le principal intéressé ?

L’aveu de Chrétien

truchre-150x150Il confirme. Dans sa biographie, Passion politique, publiée en 2007, il explique :

« J’étais dans une situation très difficile. D’un côté, je voulais encourager les nationalistes mous et les indécis à voter Non en leur signalant les dangers tangibles d’un Oui.

D’un autre côté, je devais éviter de me piéger moi-même en donnant à entendre qu’un Oui gagnant enclencherait inévitablement et irréversiblement la mécanique de la séparation.

J’ai alors décidé qu’il était plus important de ne pas parler de ces conséquences que personne ne pouvait prédire et de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour assurer tout de suite la victoire du Non. »

L’important pour lui était donc de duper les indécis et les nationalistes modérés avec cette stratégie lui permettant d’être gagnant quoi qu’il arrive : s’il faisait assez peur, il gagnerait ; si ça ne marchait pas, il refuserait de perdre.

Que dit-il cinq jours avant le référendum du 30 octobre ? Alors que les sondages oscillent autour de 50 % (pas de 55 %, ni de 60 %, ni de 66 %) et alors que la question posée est celle que l’on sait, Jean Chrétien donne à la nation le sens du vote : « Demeurer canadiens ou ne plus l’être, rester ou partir, voilà l’enjeu du référendum. »

Puis, il indique au pays à qui appartient la décision. Au premier ministre ? À la Chambre des communes ? Aux articles de la Constitution ? Non : « D’un bout à l’autre du Canada, les gens savent que cette décision est entre les mains de leurs concitoyens du Québec. » Finalement, et plus fondamentalement encore, il décrit ce qui se passera, cinq jours plus tard, si le Oui l’emporte : l’indépendance du Québec est une « décision sérieuse et irréversible ». Irréversible.

Chrétien ne dit pas qu’il ne reconnaîtra cette victoire du Oui que si elle franchit une barre plus élevée que celle des 50 %. Il ne dit pas qu’il se réserve le droit de juger de la qualité de la majorité. Il ne dit pas que le libellé de la question le laissera songeur. Au contraire, chacun comprend qu’il s’apprête à respecter les règles et que pour cette raison, ainsi que parce qu’il craint une courte victoire du Oui, il s’astreint à en expliquer clairement, froidement, brutalement les conséquences.

Bref, à la télévision, Jean Chrétien a menti de manière préméditée, délibérée et assumée à la nation québécoise (dont il ne reconnaît pas l’existence). Toujours dans ses mémoires, il attribue à cette stratégie le mérite d’avoir « renversé la vapeur et d’avoir donné la victoire au Non ».

Le suivre dans ce raisonnement c’est admettre que la survie du Canada repose sur un mensonge.

La longue entrevue accordée en 2009 par son chef de cabinet, Jean Pelletier, confirme l’esprit qui régnait alors autour du premier ministre. À l’éditorialiste Gilbert Lavoie, qui lui demande s’il s’était inquiété du respect de la loi référendaire dans les opérations fédérales au Québec, Pelletier répond : « Non. Il y en a peut-être qui se sont posé ces questions-là, mais pas moi. Quand on est en guerre, on va-tu perdre le pays à cause d’une virgule dans la loi ? »

Le palmarès des mensonges

Il est trop tôt pour situer définitivement ce mensonge dans le palmarès québécois. Est-il équivalent à celui de George-Étienne Cartier, qui promettait en 1867 une consultation populaire sur l’entrée du Québec dans la Confédération, puis refusait de la tenir ? Où de Mackenzie King, qui s’engageait devant les Québécois à ne pas recourir à la conscription pendant la Deuxième Guerre, puis demandait par plébiscite à tous les Canadiens de le relever de sa promesse ? Ou du Terre-Neuvien Clyde Wells, qui s’engageait par écrit à faire « tout en son pouvoir » pour tenir un vote sur l’accord du lac Meech, puis refusait de tenir ce vote ? Ou de Robert Bourassa, qui affirmait que « le statu quo est la pire solution pour le Québec », puis s’épuisait à faire triompher le statu quo ?

Difficile à dire. Sans pouvoir déterminer si tôt où placer le mensonge de Jean Chrétien dans le palmarès historique, on peut dire qu’il surpasse nettement celui de Pierre Trudeau. Et que de toutes les déclarations condamnables prononcées lors des deux campagnes référendaires, celle de Jean Chrétien est de loin la plus déshonorante.

(Ce texte est un extrait de mon ouvrage Octobre 1995: Tous les espoirs, tous les chagrins.)

13 avis sur « 1995 : Le plus grand mensonge de Jean Chrétien »

  1. Chrétien a menti comme Trudeau père, mais il est vrai que dans les deux référendums la question n’était pas claire. Le PQ n’a jamais encore posé une question claire, ce qui est sa responsabilité historique. Une question ambiguë ne réglera rien même en cas de victoire; au contraire, elle ne fera qu’aggraver la situation en créant beaucoup d’amertume de part et d’autre et en rendant impossible la reconnaissance internationale. Parizeau disait qu’il voulait une question claire portant uniquement sur la souveraineté, mais quelque chose de regrettable s’est produit en 1995 car nous avons eu une autre question. En 1980, la question était si tordue qu’elle en était ridicule. Soyons plus sérieux la prochaine fois. On n’obtiendra jamais la souveraineté en finassant.

    • En entrevue, Chrétien fait toujours son p’tit rigolo. C’est vrai qu’il est drôle parfois dans ses propos sauf que dans l’ensemble, c’est un fossoyeur pour le peuple québécois comme l’a dit un certain Lisée au sujet de Bourassa. Ne jamais oublier qu’il y a , au Québec, un nombre incalculable de vendus(es) à l’idéologie anglaise, non respectueux de leurs origines françaises. Avec l’immigration actuelle, je suis profondément triste de ce qui nous attend!

  2. Pour ma part le « Rat de Shawinigan », je ne suis pas capable le voir à la Télé, surtout la Télé de RC. le lecteur de nouvelles Patrice Roy, un lèche cu diplômé d’Ottawa, essaye chaque fois qu’il le peut de trouver des paroles mielleuses à l’endroit de ce Dinosaure de Shawinigan, juste pour lui lècher le cu. (A quand l’extinction complète de ces Dinosaures) J’ai hâte de les voir disparaitre. Pour moi Chrétien c’est le plus grand traite parmi les traites Québécois. La liste est assez longue depuis la Confédération.

  3. Pas très chrétien, Jean le menteur. Il peut se consoler en se disant qu’il n’est pas tout seul à avoir menti aux Québécois… qui restent sans pays leur.

  4. Monsieur Lisee,
    Votre propos est toujours très étoffé et, bien que mon opinion politique soit moins affirmée que la vôtre, je reconnais volontiers que vos arguments sont largement irréfutables.
    Bien que je crois en la capacité des Québécois (ses) d’assumer leur indépendance, je ne suis pas certain que les autres canadiens seraient assez matures pour assurer notre “interdépendance” avec eux…
    Ils seraient peut-être du genre: vous vouliez être indépendant, débrouillez-vous sans nous! Bien sûr la raison économique finirait par triompher et ils se feraient une raison (après tout la Voie Maritime du St-Laurent, l’artère commerciale de l’Amerique passe en bonne partie sur le territoire québécois!): c’est cela que le reste du Canada ne veut pas perdre! C’est bien beau les Rocheuses mais à part bloquer les vents çà ne transporte pas grand-chose!
    Il est clair qu’au fil du temps, quelque soit leur allégeance politique, les premiers ministres canadiens ont toujours essayé d’acheter la paix (le reste du Canada tolérait des premiers ministres québécois). Et pour ce faire, ils étaient prêt à faire tous les mensonges requis: pour eux “la fin justifie les moyens”; d’accord ou pas “money talks”.
    Je ne crois pas que je verrai l’indépendance du Québec de mon vivant (peut-être mon fils à moins qu’il décide de s’expatrier aux USA). L’immigration massive depuis le second référendum, le taux de natalité historiquement bas au Québec (après avoir été le plus haut sous la férule de l’église) ne militent pas en favour du OUI. Finalement c’est Monsieur Parizeau qui aura eu raison bien que beaucoup lui ait reproché sa franchise!

    • Parizeau avait raison en 95…et c’est encore plus vrai aujourd’hui !

  5. Du reniement de son peuple, ce p’tit paria de Shawinigan sera fait Premier ministre du Dominion of Canada en 1993. Tout naturellement, ce renégat disparaîtra bientôt d’ici-bas. À l’instar de PET, il sera du club des personnages historiques maudits de la nation québécoise.

  6. Continuez à nous instruire; vos propos solidement fondés sur vos connaissances et votre expérience politique p/r à chaque référendum sont réconfortants quant à la blessure subie aux deux moments. Les intuitions et les émotions vécues en 1980 et en 1995 deviennent des certitudes avec ce que vous décrivez : nous avions raison de croire en nous.
    MERCI

  7. Excellent texte, M. Lisée.
    J’apprécie toujours vos commentaires et rappels historiques (souvent douloureux pour le vieux souverainiste que je suis !), que ce soit aux « Mordus de politique » ou ailleurs.
    Continuez votre bon travail !

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