1995: Le discours jamais lu : « Si proche, et pourtant si loin ! »

Avec la sortie du documentaire Jacques Parizeau et son pays imaginé, la question de ses discours de victoire et de défaite reviennent dans l’actualité. On peut lire ici le discours que je lui avais préparé en cas de victoire, et qu’il avait enregistré pendant la journée (on en voit plusieurs extraits, en anglais, dans le documentaire) précédé du décodage que je fais de ce discours pour les intéressés.

Mais comment devait-on réagir à la défaite référendaire ? Cela dépendait de son ampleur. Si on se retrouvait, comme en 1980, avec 60% de Non, il faudrait prendre une tonalité très grave. Si on avait progressé, à 45% de Oui, on pourrait se montrer philosophe dans la défaite.

Mais à 49,4%, ne devions-nous pas clamer sur tous les toits que nous venions de faire un pas de géant vers l’indépendance ? C’était mon opinion. Monsieur Parizeau n’avait pas à la partager. Le scribe est au service du décideur. C’est lui qui assume. Il a fait un autre choix.

Voici tout de même, pour les curieux, le petit texte que j’avais rédigé ce soir-là pour le premier ministre. Avant de monter sur scène, il l’a parcouru, l’a mis dans sa poche. Puis l’a laissé là.

Texte non lu pour la courte victoire du Non

Un extraordinaire événement s’est déroulé aujourd’hui.

Un peuple s’est levé debout. Un peuple a voulu prendre en main sa destinée. Un peuple a touché son avenir, et il lui a manqué un tout petit souffle, un tout petit élan, pour y arriver.

Vous savez, les Québécois n’ont jamais rien fait comme les autres. Et le monde entier nous regarde ce soir, et le monde entier partage notre tristesse. Si proche, et pourtant si loin.

Mes amis, René Lévesque serait fier de nous ce soir. Il serait fier de vous.

Vous avez créé la plus vaste coalition que le Québec ait connu.

Vous avez fait faire à la souveraineté du Québec un énorme pas en avant. UN ÉNORME PAS EN AVANT.

Aujourd’hui, mes amis, la victoire nous échappe, mais tous les espoirs sont permis.

Aujourd’hui, mes amis, le peuple du Québec a donné avis : jamais il n’acceptera autre chose que d’être considéré comme un peuple. Jamais il n’acceptera d’être une province égale et normalisée.

La souveraineté du Québec n’est pas tout à fait née aujourd’hui. Mais le statut quo canadien est définitivement mort.

Je n’ai pas reçu aujourd’hui, le mandat de modifier le statut du Québec. Mais je n’ai pas reçu aujourd’hui, le mandat de me contenter du statut du Québec.

Si près du but, grâce à vous.

À vous les militants du Parti québécois, le navire amiral de la coalition du changement. Sans vous, rien n’aurait été possible. Mme Monique Simard, merci. Merci à vous et à toute votre équipe.

À vous les militants du Bloc québécois et de l’Action démocratique, à vous les partenaires qui avez donné  du coffre et de la diversité à cette coalition.

À vous les dizaines de milliers de Québécois qui avez participé avec votre cœur et votre tête à la plus grande campagne de conviction que nous ayons connu.

À vous les membres du caucus québécois, et les membres du Conseil des ministres.

Je devrais les nommer tous, j’en nommerai que quelques-uns. Camille Laurin, qui était à nos côtés quand personne n’y  croyait.

Pauline Marois et Guy Chevrette, qui ont donné leur sensibilité et leur fougue à cette campagne.

Et Bernard Landry qui a fait une campagne exemplaire. Merci.

Merci aussi aux deux autres chefs du camp du changement : M. Lucien Bouchard et M. Mario Dumont, qui ont formé avec nous une équipe sans pareille.

Ce soir mes amis, plusieurs seront tristes, à bon droit.

Mais si nous n’avons pas emporté la victoire, nous ne pouvons pas parler d’échec.

Nous pouvons parler d’une étape, l’avant-dernière, sur le chemin de notre indépendance.

M. Lévesque nous avait dit : à la prochaine. Il a fallu attendre quinze ans.

Aujourd’hui je sais que le temps ne sera pas aussi long. Ce soir je sais qu’aucun peuple ne mérite davantage un pays que les Québécois.

C’est pourquoi ce soir, je sais que notre avenir est à portée de la main.

Je vous invite à inventer, dès demain, la nouvelle route qui nous mènera à notre pays.

Merci


Voici le discours qu’il a prononcé. Avec la distance, si on soustrait la phrase sur « des votes ethniques » et la définition qu’il donne de « nous », (qui évidemment changeaient tout) la tonalité n’est pas si éloignée de ce que je lui avais écrit, les remerciements en moins.


Pour en savoir plus sur les coulisses du référendum de 1995, tant du côté du Oui que du Non, et réfléchir à ce qui se serait produit en cas de victoire du Oui, avec les meilleurs informations disponibles depuis, j’ai publié ce petit ouvrage qui pourrait vous intéresser.

Ce contenu a été publié dans 1995 – Fragments référendaires par Jean-François Lisée, et étiqueté avec . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

1 avis sur « 1995: Le discours jamais lu : « Si proche, et pourtant si loin ! » »

  1. Oui, octobre 1995 ou le rendez-vous manqué du Québec avec l’histoire – notre histoire nationale. Malgré la crudité de ses propos sur l’argent et le vote ethnique, M. Parizeau n’était pas si éloigné de la réalité.

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