Boisclair: Des démissionnaires répliquent (et débattent – ajout)

070130pq-boisclair-curzi_nCertains des démissionnaires péquistes de juin n’ont pas du tout apprécié les propos tenus par l’ex-chef André Boisclair, dénonçant en particulier les « égos » de ceux qui critiquent Pauline Marois. Il a fait ces déclarations lors d’une entrevue avec Jean-Luc Mongrain passée inaperçue mais relayée sur ce blogue.

Le député démissionnaire Pierre Curzi a été en particulier pris à partie par M. Boisclair, qui lui a reproché de n’avoir « en tête » que la direction du PQ et a dit de l’ancien acteur qu’il « est heureux sur scène lorsqu’il est tout seul ».

Pierre Curzi a répondu ce qui suit:

Le combat est inévitable en politique mais le mépris et la réduction sont démobilisants. Pour ma part, j’ai tenté de ne pas personaliser mon départ du caucus  parce que je crois que les structures conditionnent les comportements et qu’il est nécessaire de les critiquer pour espérer les transformer.

Par ailleurs, toutes les actrices et tous les acteurs savent que le succès dépend du travail de la troupe et que,sans cet effort collectif, aucun « ego » n’est satisfait.

L’ex-député Camil Bouchard, qui n’était pas visé par M. Boisclair mais qui s’est solidarisé avec les démissionnaires de juin, nous a transmis ce petit texte, auquel souscrit aussi Louise Beaudoin:

060610pq-camille-bouchard_nCher Jean-François

Camil Bouchard à la défense de Pierre Curzi

 

Le propos d’André Boisclair concernant Pierre Curzi me laissent pantois. Au baromètre des gros égos dont il affuble Curzi, Boisclair a-t-il pris soin de mesurer le sien? Il m’apparaît bien cocasse que cette accusation vienne de lui. On vit tous dans une maison de verre.Ce qui me laisse perplexe, c’est aussi le fait que tu prennes le soin de signaler cette intervention de Boisclair sans aucune analyse critique de ta part. Curzi a clairement exprimé les raisons de son départ: il ne pouvait tolérer l’attaque fait par le PQ qui bafouait par son projet de loi 204 le droit fondamental de citoyens à contester un contrat municipal devant la Cour.

Il aurait été plus intéressant, il me semble, de rappeler cela et de faire une analyse critique de cette prise de position de Curzi que de relayer sans mot dire une opinion méprisante à l’égard de ce dernier. Cela laisse un goût suspect.

 

Camil, Louise

Vous le savez, chers internautes, le blogueur adore le courrier, donc il se fait fort de répondre:

Chers Camil et Louise,

J’ai longuement exprimé, dans ce blogue, mon opinion sur les démissionnaires de juin, (Voir Chères Louise et Lisette, cher Pierre). Je sympathise avec plusieurs des arguments qu’ils avancent, mais je juge qu’ils auraient dû mener leurs combats en restant au PQ plutôt qu’en le quittant avec fracas.

Vous avez raison d’indiquer que je n’ai fait aucune analyse critique de l’intervention d’André. Je n’ai ni critiqué, ni endossé ses propos. Comme je le fais occasionnellement, j’ai relayé sur ce blogue une information qui avait échappé aux autres médias et que je considérais intéressante: la première sortie partisane d’André Boisclair. Mon réflexe a été strictement journalistique.

Mais je suis toujours heureux de donner mon opinion et la voici sur les deux sujets que vous soulevez: la sortie d’André, la démission de Pierre.

Sur le fond, je juge qu’André a raison de dire que le capital accumulé dans le Parti québécois — l’institution, l’histoire, les gens — a été traité cavalièrement ces derniers mois par plusieurs élus et militants démissionnaires qui ont ainsi mis à mal le principal véhicule de progrès économique, social et national québécois. Des gestes lourds de conséquence et ayant peut-être causé –  il est trop tôt pour le dire –  un tort irréparable. Je juge comme André que les démissionnaire (pas toi, Camil) n’ont pas correctement mis en balance, d’une part, leurs très légitimes griefs et, d’autre part, l’impact du moyen utilisé pour les exprimer sur le capital collectif que représente le PQ.

Pour parler spécifiquement de la décision de Pierre de quitter le PQ au lendemain d’un congrès où ses thèses linguistiques avaient triomphé, il a effectivement invoqué l’incapacité qu’il avait de voter pour le projet de loi 204. Il a repris cette raison, entre toutes, dans une récente entrevue aux Francs-Tireurs.

Le problème avec cet argument est que, une heure avant sa démission, Pierre recevait de Mme Marois un appel l’informant qu’il n’avait pas à voter pour ce projet de loi. Elle avait cédé à sa demande d’exercer sa dissidence. Pierre était parfaitement libre de rester dans le caucus et de ne pas voter, ou de pousser encore plus loin en exprimant publiquement sa dissidence et en votant contre le projet le jour où il serait soumis au vote… trois mois plus tard. Il a donc démissionné pour ne pas être obligé de voter pour un projet qu’il n’avait plus l’obligation d’appuyer.

J’en viens maintenant aux autres aspects de l’entrevue d’André. Ses propos sur les égos, sur les nobodies sont certes divertissants, mais ils sont excessifs et ne sont pas au niveau que devrait rechercher un ancien chef du PQ. Ils sont surtout contreproductifs et ne permettent aucunement d’imaginer ou de préparer, pour demain ou après demain, un point de rassemblement pour tous les souverainistes, y compris les démissionnaires, ou une relance de l’outil que nous a légués René Lévesque et dont le Québec, j’en suis convaincu, ne peut simplement pas se passer.

Bien amicalement,

Jean-François

Camil Bouchard me répond:

Jean-François

J’apprécie ce billet dans lequel tu t’expliques sur tes motivations à relayer cette entrevue de Boisclair. Bel effort (le courriel étant ce qu’il est,i..e, faible en connotations, tu devrais voir ici un malicieux clin d’oeil) !

Je ne partage pas cependant l’analyse que tu fais du départ de Curzi. Le droit d’un vote dissident accordé in extremis par Mme Marois n’aurait rien changé à l’affaire: le PL 204 passait de toute façon. Ce qu’il aurait fallu, c’est qu’elle retire le PL 204 ou, si dans l’impossibilité de le faire, s’en dissocie publiquement. C’était et c’est toujours inconcevable qu’un parti qui défend dans ses discours l’éthique citoyenne non seulement accepte mais propose de nier des droits citoyens fondamentaux.

Quant au prix que paie le PQ suite aux démissions, comme Boisclair et toi le prétendez, il aurait fallu me semble-t-il que le PQ s’interroge sérieusement ce qu’il perdait à vendre son âme pour un plat de lentilles. Ce ne sont pas les démissionnaires qui sont responsables de tels égarements et de leurs conséquences.

Amicalement.

Et je réponds:

Cher Camil,

Il y a plusieurs problèmes avec cette explication. D’abord, tu établis le principe qu’il est inacceptable qu’un parti « propose de nier des droits citoyens fondamentaux » — en l’espèce le fait qu’un Projet de loi privé protège une entente contre toute contestation juridique. Comme tu le sais bien, ces Projets de loi privés sont courants et Pierre (comme Amir Khadir d’ailleurs) avait quelques mois plus tôt voté pour le même principe — donc le même déni d’un droit fondamental — dans le cas de l’entente avec Bombardier. Admettons que le cas Quebecor/Québec eut été la goutte qui ait fait déborder son vase.

Chaque Projet de loi mérite un examen au cas par cas et celui ci, comme celui de Bombardier, pouvait paraître inopportun, voire nuisible et condamnable. Cependant il me paraît erroné de vouloir interdire en principe à l’Assemblée nationale d’user de sa souveraineté pour s’assurer de la réalisation d’un objectif. Je ne crois pas qu’il faille subordonner par principe le législatif au judiciaire ( a fortiori lorsque le judiciaire est essentiellement nommé par le gouvernement d’une autre nation, appliquant une constitution que nous n’avons pas acceptée). Je conçois qu’on puisse être d’un autre avis.

Tu ajoutes que le fait que Pierre ait obtenu in extremis de Mme Marois le droit de s’opposer au projet de loi Quebecor/Québec ne change rien à l’affaire car ce projet « passait de toutes façons ». En effet, lorsque les députés du PQ ont obtenu le droit de voter selon leur conscience, une majorité d’entre eux ont voté pour le projet. Cela signifierait donc qu’il serait inacceptable pour Pierre de revenir dans un caucus dont la majorité a enfreint une règle d’or. Il a pourtant indiqué publiquement qu’il reviendrait dans ce caucus si Pauline Marois en quittait la direction. Il devrait donc siéger avec une majorité de députés prompts à « vendre leur âme pour un plat de lentilles », comme tu l’écris.

Cela n’a évidemment aucun sens. Il faudra tourner la page sur ce vote et regarder vers l’avenir, en mettant au premier plan l’essentiel. Souhaite-t-on être gouverné pendant encore quatre ans par Jean Charest ? Faire l’impasse sur la question nationale et ouvrir la voie à l’approche strictement managériale de François Legault ? Ou miser plutôt pour un véhicule imparfait, mais le plus proche de nos attentes nationales, sociales et économiques ?

Bien amicalement,

Jean-François