En perdant les Nordiques, a-t-on perdu le pays ? (Intégral)

Le départ des Nordiques de Québec cinq mois avant le référendum d’octobre 1995 a-t-il fait le lit de la courte défaite du Oui ? La question n’est pas nouvelle mais est à nouveau posée par l’épatante série documentaire Canadiens-Nordiques, la rivalité, disponible sur Vrai. La réponse ? Je vous laisserai choisir, à la fin de votre lecture, entre Oui mais et Non mais.

Dans le dossier à charge, il y a la prétention que Jacques Parizeau n’en a pas assez fait pour garder les Nordiques ou n’a pas pris la juste mesure de l’impact symbolique de ce départ.  « Il y a une partie de nous autres qui nous a été arrachée » témoigne Régis Labeaume.

« Nous n’avons aucun intérêt politique à voir les Nordiques quitter Québec » disait à l’époque Jacques Parizeau, qui était un amant de la ville. Cependant, il qualifiait « d’ahurissantes » les demandes formulées. Son chef de cabinet Jean Royer rappelle que le premier ministre était prêt à ce que l’État 1) finance l’essentiel d’un nouveau Colisée qui ferait augmenter les revenus de l’équipe (estimé alors à 200 millions, un montant analogue au coût de ce qui est devenu le Centre Bell à Montréal mais financé sans aide directe de l’État) mais à condition que l’équipe démontre au cours des deux années suivantes sa capacité à cumuler les revenus de loges, billets de saisons et commandites; 2) achète la part d’actions détenues par Marcel Aubut et Marcel Dutil (10 millions$); 3) assume pendant deux ans, donc jusqu’en 1997, 70% du déficit d’opération alors estimé (en fait gravement sous-estimé) à 10 millions par an. Le somme décaissée par le contribuable, soit 7 millions par an, aurait été similaire à ce qui était consacré à l’époque aux Expos.

Mais les actionnaires, par ailleurs sollicités par une vente immédiate au Colorado, souhaitaient pour garder l’équipe à Québec à la fois que l’État s’engage de suite à essuyer 100% des pertes pendant 10 ans et autorise la construction d’un casino attenant au futur amphithéâtre, prétendant qu’il allait attirer les touristes étrangers. Or ce casino serait assez loin du Vieux Québec, donc Loto Québec mettait cette hypothèse en doute, et ferait, pour la clientèle locale, concurrence à celui de Charlevoix, déjà souffreteux. M. Parizeau considérait son offre suffisamment généreuse et estimait qu’au final, les actionnaires ne pouvaient se délester de 100% du risque.

Des cadeaux à un clic !

Ce raisonnement, sain, tenait-il cependant compte de l’intérêt référendaire ? N’aurait-il pas été préférable d’allonger les millions manquants pour retenir à Québec une équipe arborant le fleur-de-lys, qui venait de connaître une bonne année et qui s’annonçait prête pour disputer la coupe l’année suivante, ce qui arrivera lorsqu’elle sera sise au Colorado ?

Des sondages hebdomadaires nous permettaient d’évaluer l’impact de tel ou tel événement sur  sur le vote référendaire. La question des Nordiques, devenue saillante au printemps 1995, ne figurait en aucun cas parmi les variables significatives. Le taux de chômage, le déficit, l’inflation, les taux d’intérêts, oui. Nous n’avions donc pas de raison de prévoir, a priori, qu’un départ allait provoquer un désamour nationaliste. Nous l’avons également vérifié a posteriori. Dans les jours suivant le vote nous avons demandé à un échantillon représentatif de nommer, spontanément,  la première raison pour laquelle ils avaient voté oui ou non. Puis la seconde. Puis la troisième, quatrième et cinquième. Le départ des Nordiques ne figurait nulle part.

Le Oui à Québec: sur la cible

Mais, entend-on, les gens de Québec, et en particulier les fonctionnaires, ne sont-ils pas responsables de la victoire du Non, puisqu’ils ont voté oui en plus petit nombre que les autres francophones. Cette fausseté a la vie dure. Pour obtenir un Oui majoritaire, les simulations de notre sondeur Michel Lepage et de Jean Royer, s’appuyant sur les résultats des trois consultations précédentes,  nécessitaient que le Oui dépasse les 60% dans une trentaine de circonscriptions, comme au Saguenay.  Ce fut le cas. Il fallait ensuite que dans les autres circonscriptions à prédominance francophones, hors-Outaouais, on obtienne une moyenne de 55% de Oui. Or la grande région de Québec a voté Oui à exactement 55%. Les fonctionnaires de Québec ont voté Oui à exactement la même hauteur que les fonctionnaires québécois du reste du territoire.

Vrai, sur les 13 circonscriptions de la région de Québec, quatre ont sous-performé, alors que d’autres ont surperformé. Alors pourquoi s’en prendre à eux ? À l’extérieur de Québec, 16 circonscriptions ont sous-performé. En Gaspésie, Bonaventure n’a livré que 48%. À Montréal, alors que les électeurs de Pointe-Aux-Trembles offraient du 60% et que ceux de Maisonneuve poussaient le bouchon à 63%, les voisins de Bourget, représentés par Camille Laurin, ne faisait que du 53% !

Combien de votes fallait-il pour passer du Non au Oui ? On a l’habitude de dire 54 288, soit la majorité du Non. Mais en fait, il n’aurait fallu que la moitié de ces électeurs, plus 1, changent d’avis pour le Oui gagne. Nous n’étions qu’à 27 145 voix de la victoire, soit un bascul de 0,6% du vote.

À ce niveau, on peut imputer la défaite à n’importe quel geste posé ou omis. Il n’est pas interdit de penser que la région de Québec aurait pu surperformer et livrer la victoire, si quatre événements consécutifs ne s’étaient pas acharnés sur elle.

*En janvier 1995, la figure de proue de l’indépendance à Québec, l’avocat Guy Bertrand, rompt avec le camp souverainiste. Les médias locaux lui donnent un écho maximal, Le Soleil y consacrant un cahier spécial, comme si l’archevêque de Québec avait été pris en flagrant délit de gérer un réseau de bordels. En août, Bertrand conteste en cour la constitutionnalité du référendum.
*En mai, le départ des Nordiques est annoncé.
*En mai et juin, c’est à Québec que se déroule la plus forte mobilisation contre le «  virage ambulatoire » du ministre de la santé Jean Rochon, impliquant la fermeture d’hôpitaux, provoquant deux manifestations mobilisant chacune 10 000 personnes
*En juin,  Québec échoue lamentablement à se faire choisir comme ville hôte des Olympiques d’hiver de 2002, arrivant quatrième sur quatre avec seulement sept voix sur 89.

Bref, lorsqu’on remonte le fil des avanies qui ont frappé Québec dans la saison pré-référendaire, il est difficile de conclure que 27 145 personnes n’ont pas été prises à rebrousse-poil. Une démonstration semblable peut cependant être faite pour tout le Québec. La réforme Rochon a choqué partout. La décision de M. Parizeau de ne pas reconduire, pour l’année référendaire, le déficit record de six milliards laissé par les libéraux de Daniel Johnson, donc de réduire les dépenses, a certainement fait des dizaines de milliers de mécontents.

Votre choix sera donc le bon. Allonger des dizaines de millions de plus pour garder les Nordiques le temps du vote n’aurait pas nui, c’est certain. Ne pas fermer d’hôpitaux, encore davantage. Compte tenu de la courte marge de défaite, vous avez le droit d’attribuer la victoire du Non au manque d’amour prodigué pour votre cause favorite, quelle qu’elle soit. Évitez simplement de dire qu’on n’a pas suffisamment aidé les Canadiens.

(Une version plus courte de cet article a été publiée dans Le Devoir.)

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