Indépendance migratoire

Les tensions entre Québec et Ottawa au sujet de l’immigration constituent une publicité ambulante pour l’indépendance du Québec. Parce qu’elles illustrent mieux que toutes autres le prix de la dépendance. Car voilà un dossier qui a une incidence directe sur l’ensemble de notre vie collective.

Sans être la cause de nos maux, l’augmentation fulgurante des nouveaux venus depuis cinq ans est le facteur super aggravant qui pousse au point de rupture nos hôpitaux, nos écoles et nos garderies. Ainsi que notre marché du logement, ce qui provoque une augmentation marquée de l’itinérance, même en région. De surcroît, selon les calculs du commissaire à la langue française, depuis 2011, l’afflux de temporaires a fait bondir de 40 % le nombre d’habitants du Québec qui ont l’anglais comme langue de travail et de 50 % le nombre de ceux qui ne connaissent pas le français.

Les membres du gouvernement québécois parlent, justement, de « point de rupture », de « louisianisation » et de survie de la nation. Alors que des actions résolues sont nécessaires, ils sont réduits à tenir des conférences de presse, à écrire des lettres et à convoquer des rencontres où ils doivent plaider leur cause devant plus puissants qu’eux. Comme les kremlinologues qui scrutaient les photos pour déterminer quel personnage était apparu ou disparu dans l’entourage du tyran, nous devons comparer les versions française et anglaise des points de presse de Justin Trudeau et de son ministre et ami d’enfance Marc Miller pour déterminer si l’ouverture affichée par l’un est partiellement ou complètement contredite par l’autre.

Autrement dit : nous ne sommes pas souverains. Sur ce point essentiel, nous sommes des sujets.

Il importe de souligner qu’aucun migrant ne peut être tenu pour responsable de ce qui se produit. Le nouvel arrivant n’a fait qu’emprunter les pistes ouvertes par nos gouvernements pour trouver ici, pour lui et sa famille, un avenir meilleur. Le migrant a fait un bon calcul de risques ; nos gouvernements, non.

François Legault ne peut invoquer sa propre turpitude, lui qui a été élu deux fois sur la promesse de maîtriser l’immigration, mais qui a présidé à la plus forte augmentation de l’histoire du Québec du nombre de travailleurs temporaires. Rien de ce qu’il a annoncé à leur sujet n’en réduit le nombre. Reste que l’ensemble des doléances exprimées à Ottawa pour que ce dernier refrène ses ardeurs immigrationnistes exprime combien le Québec est à la merci des humeurs fédérales.

On pourrait croire que, comme le Québec indépendant serait lié par les mêmes traités internationaux et ferait face aux mêmes flux migratoires, la situation changerait peu. On aurait tort.

D’abord, l’arrivée sur la carte mondiale d’un nouveau pays clairement désigné comme francophone provoquerait chez les candidats à la migration un changement de comportement. Ceux qui chérissent le rêve canadien — et anglophone — se dirigeraient vers les portes d’à côté.

Ensuite, un Québec souverain aurait le pouvoir de traiter beaucoup plus rapidement les demandes d’asile. La Cour suprême du Canada a un jour décidé que les migrants avaient les mêmes droits que les citoyens de faire appel des décisions judiciaires, ce qui ajoute des années au processus. La Constitution d’un Québec souverain pourrait faire une distinction entre migrants et citoyens et limiter à quelques mois le processus d’acceptation ou de refus.

Québec pourrait aussi décider de limiter la réunification familiale aux seuls conjoints et enfants, et non à la famille étendue. Comme le Royaume-Uni, il pourrait demander qu’un conjoint en âge de travailler démontre une connaissance de la langue du pays d’accueil au point d’entrée afin de mieux assurer son intégration.

Les Canadiens s’établissant au Québec seraient aussi des migrants. Alors qu’on observe une augmentation du nombre d’unilingues anglophones déménageant en Outaouais, il leur faudrait, dans un Québec souverain, satisfaire aux mêmes conditions de connaissance du français que ceux venus de Londres ou de Singapour.

Dans son excellent ouvrage L’immigration au Québec. Comment on peut faire mieux, Anne Michèle Meggs place en haut de la liste des avantages la création d’une citoyenneté québécoise. « Il n’y a aucun symbole plus fort d’adhésion et d’appartenance d’une personne immigrante à sa nouvelle société que la naturalisation ou la citoyenneté, mais ce sont des États-nations qui déterminent les conditions de citoyenneté. Il y a la question de droit de sol (est citoyen celui qui est né au pays) ou de droit de sang (est citoyen celui qui est né d’un parent-citoyen), des conditions de statut et de durée de séjour pour l’obtention du statut de citoyen, des conditions linguistiques, mais il y a aussi des conditions liées aux connaissances sur le nouveau pays (histoire, géographie, système démocratique, lois, valeurs, etc.). »

Le serment que prêteraient les néo-Québécois serait différent de l’actuel, que voici : « J’affirme solennellement que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté le roi Charles III, roi du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada, y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits ancestraux ou issus de traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien. »

L’indépendance, note Meggs, libérerait les Québécois d’un débat cornélien : ne pas suivre la courbe démographique du voisin canadien équivaut-il à une perte de pouvoir dans la fédération ? Si on y reste, oui. Le Québec deviendra politiquement de plus en plus insignifiant. Si on la quitte, cela n’a plus la moindre importance politique. Qu’ils soient 8, 9 ou 12 millions, les Québécois pèseront toujours 100 % dans leurs institutions politiques. Et on pourrait, enfin, biffer de notre vocabulaire la lancinante expression « C’est la faute du fédéral. ».

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

2 avis sur « Indépendance migratoire »

  1. L’immigration pourrait être une carte forte pour l’indépendance et bonifier par notre gestion de l’eau douce au Québec.

  2. Celui qui est prudent ne choisit pas au hasard : il sait d’abord ce qu’il veut, puis il réfléchit aux situations, se fait conseiller et, avec une vision large et une liberté intérieure, il choisit la voie à suivre

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