La loi de la gravité

Le saviez-vous ? Avant qu’Isaac Newton ne découvre la gravité, tout le monde prenait les choses à la légère. La boutade s’applique superbement à la soudaine épiphanie de membres du gouvernement Trudeau face à l’immigration.

« Je crois que personne n’a besoin d’un briefing pour comprendre que, s’il y a plus de gens qui ont besoin de se loger, cela va avoir un impact sur la situation du logement », affirmait cette semaine l’un des architectes de l’immigration massive trudeauiste, car jusqu’à récemment titulaire de ce portefeuille, Sean Fraser, mais qui, depuis l’été, est puni par là où il a péché, car il est désormais ministre du Logement.

Son successeur, Marc Miller, est allé jusqu’à déclarer que le pays avait « perdu le contrôle » du nombre d’étudiants étrangers au pays, mais que cet état de fait était la responsabilité des provinces, dont certaines tolèrent la présence sur leur territoire de ce qu’il a appelé des « puppy mills ». En français, il s’agit d’« usines à chiots ». Il parle de ces écoles privées qui sont des usines à diplômes de qualité incertaine, délivrés dans un temps record à des étudiants pour beaucoup venus de l’Inde et de la Chine, et qui leur donne, selon les généreuses règles en vigueur, un accès rapide à la citoyenneté.

Une des meilleures recettes de la mauvaise foi politique est d’identifier, à l’intérieur d’un problème majeur, un élément réel, mais secondaire, et de faire semblant qu’en s’y attaquant, on prend l’enjeu de front. Car, au fond, les membres du gouvernement Trudeau pensent-ils qu’avoir haussé à un demi-million par an le nombre d’immigrants permanents est excessif ? Non. 

« Les Canadiens sont presque unanimes dans leur appui à l’immigration. C’est un avantage extraordinaire. Nos seuils actuels d’immigration permanente sont ceux dont on a besoin pour notre économie », a déclaré sans rire Justin Trudeau. Tous les sondages récents démontrent au contraire que l’appui des Canadiens aux seuils d’immigration connaît une chute historique. Près des trois quarts jugent — avec sagesse — qu’il faut réduire les seuils au moins le temps que se résorbe la crise du logement. Si la tendance se maintient, il y aura bientôt unanimité.

Le festival du sophisme

Peut-être pense-t-il que les milieux d’affaires torontois, qui ont plaidé pendant des années pour une augmentation de l’immigration et qui alimentent sa caisse électorale, sont toujours avec lui. Pas selon leur Pravda, le Financial Postqui résume ainsi le consensus ambiant : « La décision du premier ministre Justin Trudeau d’augmenter considérablement l’immigration […] sans fournir un soutien adéquat a créé une longue liste de problèmes économiques, notamment une inflation plus élevée et une faible productivité. » L’économiste en chef de la Banque TD, Beata Caranci, résume la chose ainsi : Trudeau « screwed up ». 

Comment le jugement du premier ministre peut-il être aussi éloigné du réel ? Les solutions, explique-t-il en empirant son cas, sont à portée de main : les 500 000 permanents par an peuvent trouver à se loger, prétend-il, pour peu que les universités dénichent des logements pour leurs étudiants internationaux et les entreprises pour leurs travailleurs temporaires. Il suffisait d’y penser. Car dans l’univers trudeauiste, il y a trois marchés distincts du logement. Incrédule ? Rappelons qu’on parle d’un homme qui, ayant obtenu pour ses vacances en Jamaïque un hébergement d’une valeur de 84 000 $, a déclaré que, « comme énormément de familles canadiennes, on est allés rester chez des amis pour les vacances de Noël ».

On s’ennuie du temps où il débitait des phrases creuses. Car ses nouvelles déclarations sont pires : fausses. Il continue à affirmer qu’il nous faut davantage d’immigration pour résoudre les pénuries de main-d’oeuvre. Mais puisque le Canada a reçu plus de deux millions d’arrivants en deux ans, ne devrions-nous pas avoir réglé le problème et être en surplus de main-d’oeuvre ? 

L’économiste Pierre Fortin a conclu de la revue de la littérature scientifique récente que cette conclusion « n’est rien d’autre qu’un gros sophisme ». Chaque immigrant qui pourvoit un emploi requiert la création d’un autre emploi pour lui fournir tous ses services. Idem pour la prétention que l’immigration nous enrichit (l’impact est non significatif) ou nous rajeunit (même résultat). On continue cependant à entendre politiciens, patrons et commentateurs répéter ces sornettes.

Pour entrer dans le détail, disons qu’il est vrai que, si on déverse un million de Chinois au Québec ayant chacun 1000 $ en poche, le PIB va croître d’un milliard. Si vous êtes un PIB, c’est la joie. Si vous n’êtes pas un PIB, c’est moins drôle. Et s’il s’agissait d’éviter un déclin démographique en maintenant la croissance récente de la population du Québec, le démographe Marc Termotte a conclu qu’il ne faudrait, pour ce faire, toutes catégories comprises, que 58 000 immigrants par année, plutôt que les 580 000 actuels — les 55 000 permanents et les 528 000 non permanents. Donc, le dixième.

Les sophismes sur les bienfaits de l’immigration ne seraient que du bruit de fond si les conséquences ne devenaient pas si graves, pour le logement, l’éducation — 1500 classes d’accueil supplémentaires au Québec — et, au bout du compte, l’explosion de l’itinérance.

Difficulté cognitive

Des esprits tordus prétendent que la difficulté cognitive des libéraux fédéraux en matière d’immigration tient à cette information, rapportée dans Le Soleil par Hélène Buzzetti : « À leur dernier congrès, le sondeur Dan Arnold a révélé que les électeurs nés à l’extérieur du Canada sont les plus susceptibles de voter libéral. Leur niveau d’appui au Parti libéral a dépassé celui des non-immigrants par 8 points à l’élection de 2015, par 13 points en 2019 et par 19 points en 2021 . » Réduire le flot d’entrées de cette manne électorale est un pensez-y bien, surtout pendant une traversée du désert.

François Legault a de son côté utilisé la formule Miller : identifier une partie du problème et faire comme s’il s’agissait de l’essentiel. Le trop-plein de demandeurs d’asile, écrit-il à Trudeau, ne peut plus durer. Certes. Mais Legault a toujours eu le loisir de limiter le nombre d’étudiants étrangers et de travailleurs temporaires sur son territoire. Il a choisi de ne pas le faire. Sa ministre Christine Fréchette se plaint qu’une bonne part des immigrants temporaires ne sont que du ressort d’Ottawa. Mais c’est parce qu’elle refuse d’invoquer l’entente Canada-Québec sur l’immigration pour exiger d’en avoir le contrôle.

C’est le malheur particulier des Québécois d’être en ce moment gouvernés à Ottawa par des trudeauistes qui prennent leurs lubies de grandeur postnationales pour des vérités et à Québec par un premier ministre qui avouait en campagne électorale ne pas être « un génie en herbe de l’immigration ». Cela paraît.

Paul St-Pierre Plamondon a beau jeu de pousser ce cortège de sophistes dans leurs contradictions, et d’éclairer combien la passivité de la Coalition avenir Québec (CAQ) est navrante et combien le projet canadien est contraire, non seulement à nos intérêts, mais à la simple bonne gestion de nos affaires. Il semble être le seul à comprendre la gravité de l’enjeu. Il mérite donc, pour cette semaine, le prix Isaac Newton.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

2 avis sur « La loi de la gravité »

  1. Mais c’est vrai, comme le sous-tendent les frapru et autres, que le problème de logement au Québec se trame depuis longtemps. AirBNB et le marché locatif des condos, sans compter les acheteurs étrangers, ont distortionné le marché du logement québécois : un condo se loue (AirBNB ou en attente d’achat) parfois à 2000 dollars pour un 3 et demi. Dans les cinq premières années de construction, la loi n’édicte-elle pas qu’un propriétaire puisse hausser son loyer sans véritable justification dans les 5 premières années suivant la construction ? Tandis que les propriétaires de longue date ne peuvent pas augmenter leurs loyers si aisément après cinq ans. L’option au demeurant pour eux est de vendre. La reconversion d’un immeuble à logement en immeuble à condos s’est déjà fait. Ensuite, l’immigration massive, le rêve inavoué du Canada de rivaliser les États-Unis en matière de population. Ou de les décharger du fardeau du trop plein ? Les écoles passerelles sont une chose. Le retour des visas pour les Mexicains qui cherchent à ebtrer aux États-Unis par le Nord en est une autre. Les latino-américains sont très travaillant et s’intègrent bien au Québec. C’est un problème multi-facettes qui date de plus que 2018. Pendant ce temps-là, oui, nous les locaux nous sentons sacrifiés dans un contexte de stagnation économique couplé de taux d’intérêts à la hausse. Mon analyse est incomplète, reste beaucoup de trucs à confirmer, mais la sagesse populaire parle parce que les gens étouffent et sont en droit de se dresser contre la droite et la gauche caviar qui elle, ne ressent pas ces contre-coups. J’aime quand même Karl Marx, ceci étant dit, même si c’était un bourgeois bien nantis.

  2. M. Lisée, votre perspicacité n’a pas de limite, et ce qui est intéressant, c’est qu’elle est en constante amélioration.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *