Le choix (de Dieu) de l’Iowa

« Dieu a regardé le paradis qu’il avait prévu créer [la Terre] et a dit : “J’ai besoin d’un gardien.” Alors Dieu nous a donné Trump. »

La vidéo, virale, est exceptionnelle pour au moins deux raisons. D’abord parce qu’elle est résolument au premier degré. Le narrateur est convaincu qu’il dévoile une vérité divine. Trump, dit-il, « est un berger pour l’humanité qui ne partira jamais et ne les abandonnera jamais ». Ensuite parce qu’elle a été lancée par Donald Trump lui-même, sur son réseau social, à quelques jours des caucus de l’Iowa, première étape de sa réascension vers la présidence.

La question se pose : dans quel univers un candidat peut-il sérieusement penser obtenir des votes en prétendant être choisi par Dieu ? Cet univers existe, malheureusement, et en particulier en Iowa. Par cercles concentriques, il y a le peuple américain, en ce moment divisé presque exactement en deux camps, entre Trump et le président Joe Biden. 

Au sein de l’électorat républicain, on compte une forte majorité de trumpistes convaincus et qui continuent de prétendre que l’élection de 2020 était frauduleuse. Au sein de cette majorité, on trouve les protestants évangélistes, massivement favorables à Trump malgré les nombreux péchés capitaux de l’ex-président. Puis au sein de ces évangélistes, on trouve les nationalistes chrétiens. 

Jon Dunwell, pasteur évangélique modéré et député républicain de l’Iowa, a décrit le phénomène au New Yorker pour s’en attrister. « Cette faction rejette l’idée que les conservateurs chrétiens devraient simplement essayer d’élire des gens qui reflètent leurs points de vue et influencent le gouvernement. Leur conviction est plutôt que le christianisme doit être la religion suprême des États-Unis et que tout devrait être jugé en s’y soumettant. » « Oubliez la Constitution, disent-ils, c’est un document mort. Tu es d’abord chrétien. »

« Cela heurte mon âme, ajoute Dunwell. Ces chrétiens, ils m’appellent un boomer. Ils disent que ma génération de christianisme est la raison pour laquelle l’Amérique a mal tourné, parce que nous n’avons pas été assez audacieux pour attraper le pécheur par le cou et le jeter au sol et imposer la loi de Dieu. Et cela, pour moi, est effrayant. C’est un peu, si je peux utiliser ce mot, talibaniste. »

Il le peut : pour cette nouvelle génération de croisés, il s’agit de la version chrétienne de la volonté des musulmans radicaux d’étendre partout la charia.

L’adoption en Iowa et ailleurs dans les États républicains de lois interdisant l’avortement et criminalisant les mères et les médecins qui le pratiquent, y compris en certains cas ceux qui aident les femmes à se faire avorter dans un État voisin, procède évidemment de cette logique d’application sans compromis de la loi divine. C’est aussi un élément de la soif de plus en plus palpable, dans l’électorat, pour l’ascension d’un autocrate.

Le Public Religion Research Institute révélait en novembre dernier la réaction des Américains à l’affirmation suivante : « Parce que les choses ont tellement dérapé dans ce pays, nous avons besoin d’un leader qui est prêt à enfreindre certaines règles si c’est ce qu’il faut pour redresser la situation. » Une majorité — 60 % — se dit en désaccord avec ces propos. Mais 38 % disent oui, dont 48 % des républicains.

L’institut a poussé le bouchon un peu plus loin en sondant le public sur cette affirmation : « Parce que les choses ont tellement dérapé, de vrais patriotes américains devront peut-être recourir à la violence pour sauver notre pays. » Plus inquiétant que l’appui exprimé est sa forte tendance à la hausse (la même phrase avait été soumise aux répondants en 2021). Au total, 23 % des Américains pensent que la violence pourrait être nécessaire, 8 points de pourcentage de plus qu’il y a deux ans. Chez les républicains, c’est 33 %, en hausse de 5 points. Chez les évangélistes blancs, 31 % (+7). 

Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un référendum : la violence ne s’exprime pas lorsque 50 % + 1 des citoyens la pensent nécessaire. Il suffit qu’une minorité la trouve acceptable pour qu’une minorité de cette minorité passe à l’acte. C’est pourquoi l’Amérique de 2024 est littéralement assise sur une poudrière. La question n’est pas de savoir si la violence éclatera après les élections de novembre prochain si Donald Trump est déclaré vaincu et qu’il affirme — c’est une certitude — que l’élection était truquée. La question est de savoir quelles seront l’ampleur et la durée de cette violence.

Trump donne évidemment le ton. Il a promis, s’il est élu, d’accorder un pardon à tous les participants à l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole, qui sont selon lui des patriotes, de vrais défenseurs de l’Amérique, des modèles (à ce jour, 1265 ont été accusés, 718 ont plaidé coupables, 467 sont derrière les barreaux). Un seuil sémantique majeur a d’ailleurs été franchi en novembre dernier lorsque Trump a décidé de désigner ces prisonniers comme des « otages » du gouvernement Biden. Tel Rambo libérant les prisonniers de guerre, il compte les arracher à leurs ravisseurs. (Dans les cartes illustrées virtuelles qu’il vend à ses partisans, comme sur des drapeaux brandis lors de ses événements, Trump est vu dans un accoutrement clairement inspiré de Rambo, super-abdos compris.)

Un dernier mot sur la contagion de Trump chez nous. Une majorité de Canadiens voterait pour le démocrate Biden (67 %), comme d’habitude. Mais il y a quand même un électeur conservateur sur deux au pays qui appuierait Trump. C’est beaucoup. C’est aussi vrai pour la moitié des hommes de 18 à 44 ans.

Mais pas au Québec, où 76 % d’entre nous rejettent le trumpisme. Prouvant une fois de plus que le Québec, distinct, est le plus souvent la République du bon sens.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

5 avis sur « Le choix (de Dieu) de l’Iowa »

  1. Les USA est un des plus grands pays modernes, puissant et riche. Pourtant une grande partie de sa population est prête à reconnaître comme son leader, son chef, un homme faisant face à la justice dans de nombreux États. De nombreux Américains et Américaines, à l’évidence n’ont plus le même sens moral qu’on reconnaissait à une autre époque à sa population et à ses leaders.
    Les juges de la plus haute court du pays y sont nommés strictement pour des raisons politiques. Aux USA, la justice n’est pas aveugle elle est devenue un outil politique.
    Trump et ses partisans veulent faire des USA un État entièrement fasciste.
    Je crains réellement qu’une nouvelle guerre civile soit en préparation aux USA.
    La république de Gilead de Margaret Atwood n’est peut-être pas si loin après tout …

  2. Ça fait quand même 2400000 idiots au Quebec qui appuis Trump et surtout dans la tranche 18-35ans
    Bel avenir qui se dessine

  3. « Parce que les choses ont tellement dérapé,
    de vrais patriotes américains devront
    peut-être recourir à la violence pour sauver notre pays. »

    comme question biaisée
    c’est magnifique

    • À première vue, oui. Mais il faut y réfléchir un peu. La désindustrialisation des états du Midwest, les inégalités pharaoniques, le sabrage dans les services publics alimentent la grogne générale. Ensuite, des faux prophètes exploitent la situation pour s’accaparer le pouvoir ou tout simplement s’enrichir (le fameux « grift ») grâce aux médias sociaux amplificateurs de controverses. Et enfin, une culture religieuse digne des curés d’antan qui affaibli la pensée critique parmi les moins scolarisés, qui sont de plus en plus nombreux à cause du sous-financement des écoles publiques, les cons-ervateurs détestant l’éducation.
      Donc, on les a rendu fous.

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