Exagérer avec Bock-Côté

Je veux rassurer tout de suite ceux de mes lecteurs qui souffrent de mathieu-bock-côté- phobie – oui, oui, je sais que vous êtes là : je ne suis pas un admirateur inconditionnel de celui qu’on appelle MBC. Mais voilà, je dois maintenant vous peiner en ajoutant que j’en suis un admirateur conditionnel. En plus, c’est un ami.

Je suis social-démocrate, il est conservateur. J’exècre l’avant-dernier pape, il le vénère. Je suis critique de toutes les religions, il fait l’apologie de la chrétienté. J’applaudis les programmes d’accès à l’égalité, il en rejette le principe même. Je suis inquiet du réchauffement, cela ne lui fait ni chaud ni froid. Je juge essentiel de faire reculer la pauvreté, le sujet l’ennuie. Il m’arrive même de défendre les droits des anglo-québécois. S’il l’a fait, cela m’a échappé. Je suis indépendantiste, lui aussi.

Je viens de terminer son dernier livre, Le totalitarisme sans le goulag (La Cité). Il exagère. C’est bien écrit. Il manie le verbe avec talent, mène sa charge avec élan. On le soupçonne content d’avoir trouvé une habile formule pour trucider tel aspect du régime diversitaire dont il a fait son ennemi personnel, puis en imaginer une seconde, puis une troisième, plus mordante encore, qu’il ne peut s’empêcher de nous faire partager. On voit bien qu’il se répète, mais on pardonne, car c’est goûteux. Mais qu’est-ce qu’il exagère !

Si on suit son raisonnement, nous vivrons bientôt, nous occidentaux, dans un monde où  une banque fermera notre compte, simplement par désaccord avec notre opinion politique, pourtant légale. Un monde où des manifestations seront interdites préventivement, par crainte qu’y soient prononcés des propos haineux. Un monde où utiliser le mauvais prénom pour désigner le genre d’une personne seront un acte criminel. Où on pourrait être déclaré hors-la-loi pour avoir mis en doute le récit victimaire d’une minorité. Un monde où des policiers pourront nous arrêter, simplement parce que nous avons chez nous un livre qui peut être jugé offensant envers une minorité et que nous aurions dû savoir que quelqu’un pourrait l’utiliser pour le montrer à une partie du public et ainsi les inciter à la haine (Mein Kampf ? L’Ancien testament ? Le Coran ? Relations des Jésuites ?). Un monde où nous pourrons être accusés d’inciter à la haine pour des propos tenus en privé, dans notre salon. Un monde où des employés de l’État ou de grandes entreprises seront soumis à des formations les instruisant sur ce qu’ils doivent absolument penser de l’histoire de leur pays. Et où exprimer un désaccord envers une opinion bizarre – le racisme est bien pire au Canada qu’aux États-Unis, par exemple  – peut vous valoir des accusations de suprémacisme, vous plonger dans une dépression, vous conduire au suicide. 

Quand je vous disais qu’il exagérait. On serait dans Orwell, qu’il cite d’ailleurs abondamment. Bon, c’est vrai, une banque a fermé son compte au politicien britannique Nigel Farage pour raisons politiques. Devant le tollé, ils l’ont rouvert. Bon, c’est vrai, des préfets français ont interdit à l’avance des manifestations, parfois de gauche, parfois anti-laïques, parfois de l’ultra-droite, parfois aussi pour interdire de taper sur des casseroles sur la trajectoire du convoi présidentiel. Est-ce si grave ? Penser que le mégenrage soit criminalisé, c’est du délire. Quoique ce soit souhaité par une pluralité de millénariaux aux États-Unis. Idem pour la criminalisation de la discussion sur le génocide autochtone canadien. Ce n’est qu’une recommandation officielle, appuyée par le ministre canadien de la Justice. Pourquoi s’énerver ? Et ce livre odieux que vous avez chez vous, ce n’est qu’en Irlande qu’une loi pourrait vous entraîner en taule pour le posséder, pas ici. Et les propos haineux tenus en privé, ce n’est qu’en Écosse qu’on pourrait vous les reprocher devant un juge. C’est loin, l’Écosse. Quant aux formations obligatoires vous i à croire que nous sommes pire que les Américains, elles ne sont imposées qu’aux employés fédéraux, à ceux des grandes entreprises, pas aux PME. Et, oui, aux directeurs d’école de l’Ontario, dont un a osé dire que c’était inexact, fut accusé d’être un suprémaciste blanc, puis s’est suicidé. Mais n’était-il pas un peu fragile ?

Sérieusement, Bock-Côté trace le portrait de ce qui pourrait nous arriver de pire, si la totalité des assauts recensés contre la liberté d’expression et de conscience devaient s’arrimer et se généraliser. S’avisant qu’il existe un médicament qui semble réduire les opinions racistes, notant que des implants cybernétiques sont en développement, il nous avertit de ne pas écarter la perspective d’utilisation de ces innovations pour contrôler nos élans et nos pensées. Je voudrais lui rétorquer que le pire n’est pas toujours sûr. Je me retiens car ses ouvrages précédents nous avaient souvent prévenus de dérives dont on ne pouvait croire qu’on les vivraient près de chez nous, mais qui, pourtant, sont arrivées.

Évidemment, s’il s’inquiète énormément des outrances issues de la mouvance woke (un mot qu’il n’utilise pas, préférant parler de Régime diversitaire), il est moins disert sur les mouvements de droite qui interdisent des lectures, réforment les programmes pour qu’on ne parle plus d’esclavage aux États-Unis, matent la liberté de la presse en Europe de l’Est. Une partie du livre est destinée à prouver que l’extrême-droite politique n’existe pas en soi (il ne nie pas l’existence de groupuscules néofascistes). Qu’il ne s’agit que d’une étiquette servant à marginaliser les porteurs d’un discours dérangeant. La démonstration va pour la France, où les thèmes du contrôle de l’immigration et de la lutte contre la délinquance, naguère portée par le clan Le Pen, sont désormais au centre de l’action d’un gouvernement qui se dit d’extrême centre. Mathieu n’en parle pas, mais l’utilisation par les conservateurs nord-américain du mot woke pour étiqueter la totalité des positions progressistes et écologistes, même modérées, relève du même phénomène et mérite la même réprobation. Et lorsqu’il défend, sans la nommer, la thèse du “Grand Remplacement” des peuples historiques par les minorités, on cherche en vain dans ses pages les chiffres, l’échéancier, le moment du point de bascule, même si la transformation est visible en France et en Europe dans des cités et des quartiers.

Il y a donc à prendre et à laisser – et beaucoup à ajouter – à l’œuvre que construit énergiquement l’ami Bock-Côté. Je conçois que les avertissements qu’il nous lance peuvent agacer, déranger. J’estime toutefois qu’il est un combattant de la liberté d’expression. Et que c’est à nos risques et périls qu’on refuserait de l’entendre.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

12 avis sur « Exagérer avec Bock-Côté »

  1. Qualifier d’exagéré et délirant le discours d’extrême gauche – des tenants du régime DEI, du wokisme, du genrisme, de la non-binarité, de l’intersectionnalité, du féminisme radical, du communautarisme, du multiculturalisme – d’anglophones, organismes racisés et individus anti Québec est prohibé au Devoir. Je doute fort qu’une réplique de MBC à votre chronique reçoive une approbation de publication de la part de ce quotidien devenu l’organe propagandiste de prédilection de la gauche fédéraliste du Québec.

  2. M. Lisée,
    Je vous apprécie et je vous ai toujours apprécié depuis vos prises de gueule avec le raciste Mordecai Richler et votre engagement pour la souveraineté du Qc.
    Et je conçois très bien que vous ayez le droit de gagner votre vie en étant membre du quatuor d’analystes politiques aux Mordus. Mais je vous trouve beaucoup trop neutre et poli devant les graves mensonges et saloperies de la Courchenes du Grec Dimitri et de la multipartisane Françoise et devant le laissez-faire de Bovet qui les laissent dire n’importe quoi contre PSPP.
    De grâce, un peu plus de rejet de leurs commentaires calomnieux et de leurs reprises des commentaires abjects de Chrétien qu’ils ont chaleureusement félicité pour ses 90 ans ainsi que pour ses oeuvres…
    De grâce, sortez de votre torpeur. RC n’osera pas vous congédier pour ça.

  3. MBC est un atout pour pour l’élaboration d’une doctrine sur l’indépendance du Québec. Mais il travaille beaucoup en France. On a l’impression qu’il perd contact avec le Québec des fois et qu’il prend le Québec pour la France. Pas étonnant qu’il soit là-bas, il ne se passe rien ici. À d’autres égards, il y a des lacunes dans sa formation, particulièrement en histoire et en droit.

  4. M. Lisée,

    Oui MBC exagère et erre parfois comme avec son obsession anti mesures sanitaires contre la covid. Ceci dit, un médecin vient d’être condamné par son ordre pour avoir dit à une femme voulant devenir homme qu’elle était biologiquement une femme. Trois mois de suspension pour le médecin et la patiente l’a enregistré à son insu pour aider à le faire condamner. On en est là.

    Alors oui MBC exagère, mais qui aurait dit il y a seulement 10 ans qu’on en serait à ce point aujourd’hui? Regardez la publicité à la télé, c’est une entreprise de rééducation où on dépeint un monde qui n’existe que dans quelques quartiers de Montréal, et encore, ce n’est pas du vivre ensemble comme dans les pubs, c’est du vivre un à côté de l’autre sur le même territoire. On est vraiment dans la rééducation de la majorité blanche assumée comme plus ou moins raciste.

    • Vous avez bien résumer d’une facon
      substile,et élégante cette réalité ,qui moi me fait dire des mots d’églises.Cette rééducation par la publicté est inqietante et fauce de la réalité du québec.

  5. A propos de vote chronique sur le livre de Bock-Coté, si certaines situations vous paraissent exagéré, je tiens à vous rassurer, éventuellement, sur la réalité de ce que nous vivons.
    Je suis en France dans la non loin de Paris.
    Dans ma ville, il y a 50 ans, nous pouvions croiser dans nos déambulations dans les rues, commerces, transports en commun moins de 5 % de personnes d’origine étrangère. Aujourd’hui je suis toujours dans la même ville, ce pourcentage est passé à 95 % – 98 %.
    Même dans mon immeuble où il y a 50 ans il n’y avait que 2 ou 3 personne d’origine étrangère sur les 60 propriétaires, maintenant nous ne sommes que 4 français d’origine. Tous les autres ont d’origines étrangères.
    Nous pouvons y mettre les mots ou le nom que l’on souhaite, la réalité c’est qu’il y a eu un remplacement de population …
    En France, tant que les politiques seront des collaborateurs de cette immigration massive et refusant de voir le danger qu’elle inflige, il ne pourra y avoir de solution réelle et viable … Cela doit être vérifiable dans tout l’occident …

  6. Bravo M. Lisée,

    Analyse très sensé et vertueuse.
    Je ne suis pas un fan de M.B.C. mais j’apprécie son honnêteté et sa loyauté envers sa pensée.
    Le droit de parole ne devrait jamais être restreint.

  7. Bravo, un bel exemple qui demontre comme on peut respecter, aimer meme admirer un etre avec lequel on est pas toujours d’accord. Un fier intellectuel Quebecois qui ose penser plus loin que le Quebec. Vive MBC

  8. Excellent billet.
    Je ne suis ni bockcôtéphobe ni bockcôtéphile.
    Il m’impressionne positivement à plusieurs égards. Du même souffle, son
    sens de l’exagération m’exaspère aussi.
    Il me fait peur, car, tel qu’évoqué dans ce billet, certaines des énormités qu’il a vues poindre se sont avérées.
    Chose sûre, il mérite d’être entendu. Et respecté

    Je n’aurais jamais pensé devenir une vieille dame libre dans un Québec aussi clivant et polarisé. Un Québec pas même foutu d’avoir fait son indépendance.

    Ho!… On ne s’y ennuie pas mais que d’inquiétude! On a beau adhérer à la philosophie bouddhiste, pratiquer individuellement la méditation bienveillante de la pleine conscience, la zénitude collective ( et donc politique) n’est pas pour demain.

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