L’accommodement qui dérange les accommodeurs

80px-Hijab_woman_LiverpoolLes fidèles lecteurs de ce blogue savent que j’avais élaboré une série d’hypothèses, dans mon billet Exporter la discrimination, début novembre, voulant démontrer que,  dans l’univers de l’accommodement, seule la religion avait droit de cité (à l’exception des déficiences physiques, bien sûr).

Or dans mon effort d’imagination pour mettre en opposition le droit de conscience, d’association, et le droit religieux, j’avoue avoir été trop bête pour trouver l’accommodement qui tue la notion d’accommodement, celui qui s’oppose, précisément, à l’accommodement.

Le Devoir de ce vendredi rapporte la cas du citoyen de Longueuil Michel Robichaud qui, au nom de son droit de croire au caractère laïque de l’État, a refusé de se faire servir par une fonctionnaire voilée, car il considère le hidjab comme un signe religieux. Plutôt que de lui permettre d’attendre le prochain fonctionnaire non-voilé disponible, le cadre local de la RAMQ lui a demandé de retourner au bout de la file, risquant ainsi de se retrouver dans la même situation. Ce citoyen, militant personnel de la laïcité, n’a donc pas été accommodé comme l’aurait été une musulmane voilée demandant à être servie par une femme, plutôt qu’un homme.

M. Robichaud a donc mis un visage et un cas sur le principe que j’énonçais en novembre:

L’égalité entre les droits, c’est un vœu, un idéal. Cependant les tribunaux, habités par des humains en chair et en os, ont, au Canada et dans plusieurs pays adeptes du multiculturalisme, établi une hiérarchie entre les droits. Elle s’exprime comme suit : tous les droits sont égaux, mais seule la liberté religieuse a le droit d’exporter ses principes internes de discrimination dans le reste de la société.

Comment remédier à cette situation, qui de toute évidence ne cessera pas d’enquiquiner le gouvernement Charest qui espère qu’on discute d’autre chose ?  Dans Le Devoir, le constitutionnaliste Henri Brun décrit l’état des lieux:

«La laïcité de l’État, elle existe au Québec, mais elle est molle», a-t-il indiqué hier. Ainsi, seule une loi établissant une charte de la laïcité de l’État, par exemple, pourrait assurer aux citoyens québécois d’être servis par des officiers publics qui n’affichent pas de signes religieux ostentatoires. Et encore là, la Cour suprême, en s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés, pourrait démolir d’un coup cet édifice législatif qui répond sans doute au souhait d’une majorité de Québécois mais ne correspond pas au consensus dans le reste du Canada, estime Henri Brun.

Bref, l’Assemblée nationale pourrait tenter d’établir ces principes dans une Charte de la laïcité, ou encore mieux dans une Constitution interne du Québec (ma préférence). Mais les juges de la Cour suprême, nommés via un processus auquel le Québec ne participe pas, s’appuyant sur une constitution que le Québec n’a ni négocié ni ratifié, pourrait invalider la tentative des Québécois d’établir eux-mêmes les règles de leur vivre-ensemble.

Le porter, oui. Refuser d’être servi par une porteuse, non. (Image Wikipedia Commons)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !