Le dernier caquiste

Interrogé avant l’élection de 2022 sur l’énergie considérable déployée par le gouvernement de François Legault pour éliminer le Parti québécois (PQ) de la carte politique, un stratège caquiste  a expliqué, selon un témoin : « Il n’y a pas de place pour deux partis nationalistes au Québec. » 

La réponse m’avait paru dénuée de sens. Si on croit aux vertus du nationalisme, on ne peut qu’observer que des partis plus ou moins animés par cette conviction ont coexisté depuis les années 1970 et que leur interaction a servi à alimenter la revendication nationale plutôt que de l’affaiblir. En l’espèce, que des nationalistes veuillent programmer la disparition du PQ, porteur ultime de la revendication indépendantiste, me semblait plus grave encore. L’extinction du parti de Lévesque et de Parizeau équivalait à obstruer une voie de sortie qu’il faut nécessairement préserver, pour l’heure où les Québécois seraient (seront ?) disposés à l’emprunter. Lorsqu’ils auront perdu, pour reprendre le mot de Gérald Godin, leur « mégoût de l’aventure ».

Le retournement politique de la dernière année jette toutefois un éclairage nouveau sur l’observation du stratège caquiste. Il était peut-être suffisamment informé de la vulnérabilité électorale de son propre parti pour estimer qu’il n’y avait pas de place pour la Coalition avenir Québec (CAQ), si le PQ devait renaître.

Les deux derniers sondages, Pallas et Léger, lui donnent raison. Intégrés dans l’algorithme de pondération conçu par Philippe Fournier dans Qc125, ces résultats, une fois projetés sur la carte électorale, donneraient 57 sièges à un gouvernement péquiste minoritaire (il en faut 63 pour atteindre la majorité), 27 aux libéraux, qui conserveraient leur statut d’opposition officielle, 19 aux caquistes, puis 15 aux solidaires et 7 au parti d’Éric Duhaime.

Fournier décline ses résultats en attribuant des chances de succès à chaque parti dans chaque circonscription. Certaines des 125 circonscriptions affichent des résultats « pivots », où deux ou trois partis sont à quasi-égalité ; certaines sont désignées par le terme « enclins », où un parti est en avance ; d’autres enfin sont « solides », un des partis y étant assuré de gagner. Ce qui frappe dans la liste mise en ligne le 7 décembre est qu’on n’y trouve aucune circonscription « solide » pour la CAQ. Zéro. Voilà un parti dont les pieds sont faits d’une argile si friable qu’il pourrait passer d’une victoire éclatante l’an dernier, avec des scores de plus de 50 % des voix, à une vulnérabilité telle qu’il devrait surveiller ses arrières dans tous les recoins du territoire.

(Avertissement : les députés caquistes souhaitant passer une bonne journée devraient interrompre leur lecture maintenant.) Le problème avec cette prédiction est qu’elle sous-estime la chute caquiste. L’algorithme est prudent et ne fait qu’intégrer les données récentes aux plus anciennes, qui étaient, elles, plus favorables à la CAQ.

Lorsqu’on intègre les seuls résultats de Pallas et de Léger dans le simulateur (ce fut possible pendant quelques jours, avant que Fournier ne fasse sa mise à niveau), les résultats sont dévastateurs. Le PQ se hisse en territoire très nettement majoritaire. La CAQ, elle, tombe à un seul député.

On dit qu’il faut se méfier des sondages. C’est faux, au moins 19 fois sur 20. Il faut cependant se méfier des électeurs. Ils pratiquent parfois l’infidélité partisane avec fureur.

Il y a un an à peine, le même algorithme prédisait un sort identique au PQ. Le dernier d’entre eux aurait été Pascal Bérubé, résistant au sommet de l’ultime barricade péquiste, sise à Matane. Je l’ai déjà mentionné ici, je lui avais offert de l’aider à écrire son livre : Le dernier péquiste. J’ai donc voulu savoir qui serait le dernier caquiste. C’est cruel. Il s’agirait du député de L’Assomption. François Legault. Je ne suis pas certain qu’il accepterait ma proposition.

L’arc dramatique du récit serait pourtant puissant. Cela commencerait par Legault, ayant démissionné du PQ, seul chez lui à l’été 2009, imaginant la création d’un nouveau parti. Cela se terminerait par Legault, seul dans son petit bureau de député, dans un recoin du 3e étage de l’hôtel du Parlement, à l’automne 2026. On l’entendrait bougonner contre le système et son injustice. Car son parti aurait quand même remporté un suffrage sur cinq, pour n’obtenir qu’un siège sur 125. On imagine aisément le chapitre où il se remémorerait sa promesse de 2015 de mettre fin à cet inacceptable dérèglement démocratique : « Je souhaite moins de cynisme, avait-il dit, plus de confiance entre les citoyens et la classe politique. Ça passe par un mode de scrutin proportionnel mixte. » 

Se demanderait-il pourquoi, une fois au pouvoir, il a torpillé cette noble promesse ? Il se souviendrait qu’on lui avait dit que c’était pour mieux assurer le passage des péquistes de vie à trépas. Il se maudirait d’avoir ainsi préparé les conditions de son propre isolement. Car s’il avait tenu son engagement, il disposerait aujourd’hui d’une bonne douzaine de députés. Assez pour que son parti soit reconnu. Assez pour disposer en son sein d’un ou d’une élue prêt à prendre sa place, dans une course au leadership. Assez aussi pour faire cohabiter, au Québec, deux partis nationalistes.

Mais aujourd’hui, qui voudra diriger sa coquille vide ? Et si lui, le dernier caquiste, démissionnait comme c’est souvent le cas lorsqu’un premier ministre perd son élection, le PQ ravirait assurément ce dernier coin de terre caquiste, éteignant ainsi la flamme politique allumée par Legault, peut-être pour toujours. 

Il se demanderait aussi pourquoi diable il s’est engagé, en décembre 2023, à se représenter en 2026. Une promesse qu’il aurait dû rompre à temps, comme les autres, pour éviter le déshonneur et imputer à son successeur les raisons de la débâcle. « Sans Legault, auraient écrit les chroniqueurs, la CAQ ne pouvait survivre. » Mais aujourd’hui ils disent : « Même avec Legault, il agonise. Ou à cause de lui. »

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans François Legault / CAQ, Parti Québécois par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

2 avis sur « Le dernier caquiste »

  1. J’ai 74 ans. Le PQ est mon porteur d’espoir de voir naître mon pays.
    Mais j’ai été diagnostiquée d’un cancer.
    Aurais-je le temps d’y participer et de le célébrer.
    J’espère !

  2. Il y a aussi Stephane Gobeil qui a écrit un livre bien connu;  » Un gouvernement de trop  »
    maintenant S G est conseillé de l’équipe Legault ,
    pour gagner sa pitance , comme beaucoup d’employé-e-s permanents du PQ de 2014
    j’ose espérer que le jour du référendum ces « nationalistes » voteront OUI à la république du Québec.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *