« French touch »

C’était au temps lointain du printemps 2022. La presse anglophone, les directeurs des cégeps Dawson et autres, le Parti libéral du Québec annonçaient la catastrophe. Imaginez : le gouvernement québécois allait obliger les cégépiens anglos à subir non pas deux cours de français, comme c’était déjà le cas, mais cinq. De français ou, pire, en français. Cela allait mettre en péril la carrière de ces pauvres élèves, désemparés face à un idiome étrange, pour tout dire indéchiffrable. Leurs résultats allaient en pâtir, notamment leur « cote R », sésame qui ouvre, ou verrouille, la porte des meilleures universités. Anglos, il va sans dire.  

De toute façon, l’organisation de cette réforme allait provoquer le chaos. On ne pourrait tout simplement pas mobiliser les ressources, les profs, les locaux. Insurmontable. La réputation du Québec ne s’en relèverait pas. Cinq cours de français, c’était pousser nos jeunes à s’enfuir en Ontario.

Où en sommes-nous, 18 mois plus tard ? La réforme s’installe en douceur, rapporte le Montreal Gazette. Dawson, apprend-on, trouve raisonnable de diriger vers des cours en français ses étudiants réputés « intermédiaires ». La cote R ? « Pas une préoccupation majeure », explique maintenant la responsable des communications, Megan Ainscow. Pourquoi ? « Parce que chaque élève sera placé en fonction de ses capacités. » Ce qui était prévu depuis le début.

Les diplômés des high schools du Québec ont beau être légalement réputés « bilingues », ils n’ont pas tous le niveau requis pour la Dictée P.G.L. Selon une compilation du ministère de l’Éducation, 13 % d’entre eux sont des locuteurs « avancés » de la langue de Vigneault. Fastoche : ce sont essentiellement des francophones qui, par des liens familiaux, ont eu le droit de faire leur primaire et leur secondaire en anglais. Les « intermédiaires » forment le gros de la troupe : 68 %. Les débutants, 19 %. Les plus faibles suivront des cours de français et, si un intermédiaire trébuche dans son cours en français, on le rétrogradera. Donc, pas de crise, pas d’exode, seulement un processus graduel de rehaussement de la connaissance du français pour des jeunes qu’on destine au marché du travail québécois. Une nouvelle normalité, dont on s’étonne simplement qu’elle n’ait pas été introduite bien avant.

Revenons au présent et à la fin de l’automne 2023. La presse anglo, les recteurs de McGill et Concordia, le Parti libéral du Québec annoncent la catastrophe. Imaginez : le gouvernement québécois va obliger 80 % des étudiants non francophones non québécois à suivre des cours de français. Cela va mettre en péril la viabilité des institutions, faire fuir en Ontario des étudiants payants, entacher, encore, la réputation internationale du Québec.

C’est sûr, c’est sûr. Quand ils vont apprendre, à Berlin, San Francisco, Shanghaï et Mumbai, qu’il faut un minimum de français pour étudier au Québec, ils n’en croiront pas leurs oreilles.

Soyons de bon compte. Il y a parmi les étudiants hors Québec venus étudier à McGill et à Concordia des gens qui ne souhaitent absolument pas apprendre le français. Désormais, on leur dira (sauf à 20 % d’entre eux) que c’est obligatoire. Des réfractaires décideront de ne pas venir. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me scandaliser de cette situation ? Pourquoi ai-je plutôt le réflexe de m’en réjouir ? Et pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? C’est clair, c’est net et cela devrait s’appliquer à tous (sauf aux touristes) : si le français ne vous intéresse pas, ne venez pas au Québec ! Ici, il y a la French Touch. C’est à prendre ou à laisser.

Il faut admettre qu’atteindre le niveau 5 à l’oral (il y a 12 niveaux) sera plus ardu pour des étudiants dont la langue est très éloignée du français, comme le mandarin ou l’hindi. Or, les étudiants de la Chine et de l’Inde sont depuis plusieurs années une mine d’or pour les universités anglophones du monde. McGill devra soit leur offrir des sessions intensives d’été pour les mettre à niveau (avec une antenne au Saguenay, pourquoi pas ?), soit se rabattre sur d’autres bassins de recrutement. Mais il est probable que l’âge d’or des revenus d’étudiants étrangers qu’ils ont connus depuis cinq ans soit, pour nos universités anglophones, dans le rétroviseur. Ils n’en mourront pas. 

On peut à la fois saluer cette annonce de la ministre Pascale Déry et regretter qu’elle n’aille pas plus loin. Pourquoi 80 % et pas 100 % ? On évoque une question de moyens, de disponibilités de profs. Qu’on étale alors la mise en oeuvre sur quelques années de plus. Pourquoi le niveau 5 oral à la fin du bac, et pas davantage ? Même réponse. Pourquoi ne pas alors exiger le niveau 7 au niveau de la maîtrise, et 9 au doctorat ? Pourquoi ne pas appliquer la mesure aux étudiants québécois de McGill et de Concordia et réclamer, pour eux, le niveau 9 à la fin du bac ? (McGill exige le niveau 9 d’anglais à l’entrée pour les non-anglos. Ça doit être bon, non ?) Avis aux rédacteurs du prochain programme électoral du Parti québécois.

Un mot sur le compromis concernant les droits de scolarité des Canadiens hors Québec, qui passeront de 9000 à 12 000 dollars plutôt qu’à 17 000. Ce n’est pas cher payé, en échange de 80 % de francisation. Et compte tenu du coût du logement à Toronto et à Vancouver, l’offre montréalaise globale restera concurrentielle.

Mes amis nationalistes ragent que l’on continue de financer ainsi des étudiants canadiens. Mais nous n’avons aucune idée de l’existence de la réciproque, du niveau de financement, par les autres provinces, des étudiants québécois. Cette donnée n’a été compilée, à ce jour, par personne. Nous ne savons donc tout simplement pas si nous profitons, ou non, de la réciprocité. 

On m’informe que l’idée de revenir au tarif québécois pour les Français et les Belges, évoquée dans un document, est définitivement écartée. C’est sage. Il ne faut surtout pas renouveler l’entente bilatérale avec Paris où le Québec est le dindon de la farce. Il faut remplacer tout le dispositif par un programme général d’attraction au Québec des meilleurs étudiants francophones du monde, quelle que soit leur origine, et ne les soutenir financièrement qu’en échange de leur engagement à travailler ensuite au Québec pendant plusieurs années.

Il faut reconnaître qu’avec cette annonce, et quelques autres, la CAQ fait preuve d’une réelle audace. C’est pourquoi sa quasi-catatonie linguistique devant le tsunami de travailleurs temporaires (un demi-million), dont l’impact cumulé est délétère pour le français et contrecarre l’impact des autres mesures, laisse pantois. Peut-être faudrait-il donner ce dossier à Mme Déry ?

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

1 avis sur « « French touch » »

  1. Est ce qu’un parti au Québec a dans son programme d’obliger les enfants de travailleurs temporaires à fréquenter l’école en français ? Jusqu’à l’université ?

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *