Les fausses bonnes idées

Il y a des moments, en politique, surtout au sommet de la pyramide, où on se sent bien seul. C’est encore plus vrai lorsque la vie s’entête à vous projeter des ennuis groupés. Le poids de la responsabilité est écrasant. Tous les regards sont pointés sur vous. Les conseils qu’on vous donne ont toujours la même caractéristique : ils sont contradictoires. De journées glauques en nuits blanches, vous tentez d’imaginer une voie de sortie. Un changement de cap ? Une retraite stratégique ? Une avenue complètement nouvelle ? Ou encore une surenchère.

Il est arrivé que François Legault sorte de ces vortex avec l’eurêka qu’il fallait. Son plus grand exploit fut évidemment de faire semblant qu’il n’était plus indépendantiste pour créer une coalition pragmatique lui permettant de prendre le pouvoir afin d’y déployer ses instincts économiques interventionnistes et de rapprocher le Québec de son Graal : égaler le revenu moyen de l’Ontario. Tout le reste (laïcité, français, immigration) n’est que des figures imposées par le réel. 

Pendant la pandémie, il s’est relevé d’une nuit blanche avec une autre innovation : pourquoi ne pas inventer des formations rapides de préposés aux bénéficiaires et promettre aux finissants 26 $ l’heure pour boucher rapidement les trous causés par la maladie et la pénurie ? Il a eu raison. Et sur sa lancée, a proposé ailleurs — plus récemment en construction — ce modèle de la formation accélérée et rémunérée. Ce n’est pas parfait, mais c’est beaucoup mieux que rien.

Frapper un grand coup, devant un grand écueil, semble parfois irrésistible. Il y a quelque chose de grisant dans l’annonce d’une décision inattendue, ambitieuse, hors normes. Le problème est de distinguer les bonnes idées des fausses bonnes idées. La formation accélérée des préposés était excellente, le retour du troisième lien et l’abolition du financement populaire, médiocres.

On sait que François Legault a fait preuve de jugement au moment d’arbitrages difficiles. Sa décision de retirer le crucifix de l’Assemblée nationale simultanément avec l’adoption de la loi sur la laïcité était à contre-courant de l’opinion, en particulier caquiste. C’était le bon geste. Comme celui de respecter les droits acquis des salariées voilées.

L’application de la disposition de dérogation à cette loi et à la loi 96 sur le français constituait, au moment où ce pas était franchi, une preuve d’audace et de détermination. Il fallait vouloir. Son insistance à offrir aux salariés de la santé des augmentations différenciées est également une innovation qu’on lui doit et qui est salutaire.

Cette propension à sortir du cadre l’a cependant amené à avaliser des projets ambitieux et coûteux, mais irréfléchis. Son obsession d’étendre à tous les maternelles quatre ans alors que les écoles croulent — aux sens propre et figuré — a détourné vers cette marotte inutile (au pays des CPE) une énergie qu’il fallait mettre ailleurs. Les sommes colossales englouties dans les maisons des aînés, qui ne pourront jamais, dans un scénario réaliste, remplacer à terme les CHSLD, auraient dû être investies dans la rénovation de ces derniers et dans l’extension des soins à domicile. 

L’annonce de la création dans chaque région de musées « Espaces bleus » est en train de s’échouer sur les contraintes du réel — et sur le sous-financement des musées régionaux existants. Legault a aussi accepté d’avaliser d’autres bizarreries, comme soutenir qu’il allait laisser entrer des immigrants destinés à être permanents, mais qu’après trois ans, s’ils échouaient à un test de valeurs et de langue, il leur enlèverait leurs papiers et demanderait à Ottawa de les expulser. (On m’a raconté que cette idée viendrait d’un conseiller belge, disparu depuis. Heureusement.)

On m’assure que la décision de se retirer du financement populaire et de proposer son abolition dans la loi fut une proposition collective. « C’est devenu impossible de recevoir des dons privés et de gérer les fonds publics », m’explique-t-on, « notre gouvernement, et n’importe quel autre, est fait comme un rat ». « Il n’y a qu’une seule issue, radicale. » Comme quoi il arrive que Legault soit mal conseillé. Même si on la trouvait bonne, cette proposition allait être rejetée par les autres partis. Et si la Coalition avenir Québec s’avisait d’user de sa majorité pour la voter, seule, à l’Assemblée (ce que Legault a écarté), elle serait probablement jugée inconstitutionnelle, car interdisant aux citoyens d’exprimer, avec leur portefeuille, leur liberté d’expression politique. 

Sur QUB, hier, l’ex-ministre libérale Marie Montpetit comparait la table rase proposée par Legault sur le financement à celle du ministre Pierre Fitzgibbon face aux difficultés que connaît Northvolt avec les écolos. « Si la population ne veut pas du projet, a-t-il dit la semaine dernière, il n’y aura pas de projet. » Comme si, en 2024 et partout en Occident, tout grand projet industriel ne devait pas traverser de nombreuses étapes et controverses avant de voir le jour. Je me souviens avoir discuté avec Gary Doer, ex-premier ministre néodémocrate du Manitoba devenu ambassadeur canadien à Washington, du degré d’avancement d’un projet de ligne de transmission d’Hydro dans le Nord-Est américain. « C’est un kilomètre, un avocat », me dit-il. Une réalité avec laquelle il faut composer, tout simplement.

Évidemment, le cas Northvolt serait plus aisé si le gouvernement n’avait pas volontairement changé quelques règles, tourné quelques coins ronds, refusé la tenue d’un examen du BAPE, pour le faire atterrir. Mais là, comme dans le cas du financement, on est en présence d’une réaction un peu enfantine : « Si c’est comme ça, je ne joue plus. »

Même si je ne suis pas caquiste, je ne me réjouis nullement de la descente aux enfers du gouvernement Legault. Il est désormais affaibli. Je ne suis pas certain que ses réformes en éducation et en santé soient les bonnes. Mais pour qu’on le sache, il doit conserver l’autorité requise pour les faire appliquer. Il ne l’a plus. Sa faiblesse n’augure rien de bon pour les dossiers cruciaux qui l’opposent au gouvernement fédéral, notamment l’épineuse question de l’immigration. 

Lorsque Legault était fort, Ottawa lui disait parfois non (en santé, notamment), mais le craignait suffisamment pour accepter de temps à autre de céder — comme pour l’introduction dans la Constitution d’une clause non contraignante affirmant que le Québec forme une nation. Maintenant qu’il ne dirige plus qu’un gouvernement en sursis, il n’aura guère droit qu’au service minimum. S’il était en fin de mandat, ce ne serait qu’un mauvais moment à passer. Mais il reste deux ans et demi à tirer. C’est long. À moins qu’il décide, au lendemain d’une journée glauque et d’une nuit blanche, que si c’est comme ça, il ne joue plus.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

4 avis sur « Les fausses bonnes idées »

  1. J’aime les propos de M. Lisée, très éclairant sur le parcours du gouvernement de la CAQ, très précis, nuancé, empathique. Il analyse finement les faits et comportements, les actions et résultats, et anticipe les conséquences. Ma compréhension s’affine à chaque fois que je le lis. Merci!

  2. Une fausse bonne idée, c’est avant tout une idée qui ne passe pas l’épreuve du temps. La CAQ est arrivé au pouvoir avec plein de bonnes idées mais la majorité de ces idées se sont retrouvées inapplicables très rapidement, avant même d’être mises de l’avant pour la plupart. Le drame maintenant c’est surtout qu’elle improvise parce que les bonnes idées sont une denrée rare.

  3. Toujours aussi intéressant de lire un texte de M. Lisée et il écrit si bien. Ce que j’aime: il possède une capacité à vulgariser, c’est facile de comprendre son sujet et on se sent plus intelligent. Merci et continuer à nous rende plus intelligent.

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