Samedi prochain, les militants solidaires seront réunis pour la première fois depuis l’élection du 3 octobre. Je leur recommande une chanson thème, pour ouvrir leurs débats : La triste compagne, du chanteur français, souvent savoureusement sarcastique, Bénabar. D’abord le titre est d’actualité. À l’heure qu’il est, QS est le seul parti au Québec, et à Ottawa, à n’avoir toujours pas d’avis sur Mme Amira Elghawaby. Doit-elle rester en poste ? Mystère.
On ne peut reprocher à Gabriel Nadeau-Dubois de vouloir la rencontrer avant de rendre son verdict, car c’est ce qu’a fait Yves-François Blanchet. Reste qu’en politique, le choix du moment est essentiel. On comprend rétrospectivement que le chef du Bloc a voulu braquer toutes les cameras du pays sur lui pour pouvoir ensuite énoncer la position à laquelle il était venu depuis le début : non seulement elle ne peut pas rester, mais le poste de conseillère à l’Islamophobie ne devrait pas exister, compte tenu de la confusion entourant ce terme (est-ce seulement pour combattre le sentiment anti-musulman, ce qui est admirable, ou pour contester le droit de critiquer une religion, l’Islam, ce qui est détestable ?)
La demande de rencontre de GND semble à la fois plus sincère que celle du chef bloquiste – il pourrait envisager d’accepter ses excuses et souhaiter son maintien en poste – et hautement plus risquée. D’abord face à l’opinion publique, dont le lit est fait. Mais surtout face à une de ses franges militantes qui saura s’exprimer pendant les débats du week-end et qui estime que le simple fait de critiquer Mme Elghawaby est, en soi, de l’Islamophobie.
Qu’en sait-on ? Ceci : on a fait grand cas des 12 heures qu’il a fallu à la député libérale Jennifer Maccarone pour comprendre que son gazouillis matinal défendant la nomination problématique devait être retiré et nécessitait un gazouillis de fin de soirée présentant des excuses. Son record a été largement battu par le député solidaire Haroun Bouazzi. Mardi matin, il dénonçait sur son fil twitter le fait que la CAQ en demande la démission, accusant le gouvernement de « faire diversion », ce qu’il est allé répéter devant une caméra. Il a aussi dans son gazouillis fait un procès d’intention: « Les stratèges de Legaut : ‘’regardez! Là! Une femme qui porte un voile !’’ ». Il lui a fallu 24 heures avant de corriger le tir en écrivant : « Je ne prends pas à la légère ni les erreurs de Mme Elghawaby ni la lutte à l’islamophobie. » Il prend cependant à la légère les procès d’intention, car il ne regrette pas ce qu’il a écrit dans son gazouillis précédent, toujours en ligne au moment d’écrire ces lignes.
L’ancienne candidate et cadre solidaire Eve Torrès, a d’ailleurs été très active sur les réseaux, affirmant que cette nomination était une « excellente nouvelle ». Pour mémoire, QS avait semoncé le Collectif anticolonial dont elle était une des forces vives et qui accusait la direction solidaire de racisme systémique, mais ne l’avait pas dissous. QS avait cependant dissous le collectif pro laïcité qui avait eu le tort d’être – comment dire ? – pro laïcité.
Bref, en prolongeant jusqu’à la semaine qui vient la décision à prendre sur Mme Elghawaby, la direction solidaire n’a fait qu’augmenter le volume de grogne potentiel lors de leur rencontre, quelle que soit la décision prise.
D’autant que d’autres bouillonnements sont perceptibles dans d’autres casseroles solidaires au feu, au sujet des désastreux engagements électoraux pris pendant la campagne électorale et qui ont plombé l’ascension possible du parti et au sujet du style de leadership de Nadeau-Dubois.
Sur le site Presse toi à gauche, qui sert de forum aux solidaires, on a pu lire : « Plusieurs militantes et militants ont remarqué le discours de Gabriel Nadeau Dubois en je-me-moi, rarement dans le nous. Cette mise en évidence de la personnalité de Gabriel, y compris en bon papa, a contribué à reléguer dans l’ombre la co-porte-parole femme, Manon Massé, alors qu’elle est une personnalité rassembleuse, et à mettre le discours féministe en sourdine. » On lui reproche aussi d’avoir mis l’indépendance en sourdine, laissant ce champ au PQ, et d’avoir rêvé tout haut de devenir l’opposition officielle. « Cet objectif surévaluait les possibilités de QS en misant sur la mort du PQ et sur la descente aux enfers du PLQ. Le résultat concret de cette erreur fut la démobilisation des militants et militantes au lendemain des résultats. » Un autre écrit : « Cette campagne a été un triomphe de la machine électorale verticaliste. La machine n’a plus rien à apprendre des partis traditionnels, bien au contraire. Toute trace de faire la politique autrement est disparue. »
Nadeau-Dubois est parfaitement conscient qu’il aura un mauvais moment à passer. Il s’en est ouvert de façon oblique à La Presse récemment. « Personnellement, je pense que j’ai l’image de quelqu’un qui se remet peu en question » a-t-il dit, ce qui, en effet, pose problème. S’il avait, en milieu de campagne, admis qu’un des engagements controversés était une erreur, il aurait, à mon avis, gagné en popularité. Depuis, dit-il, « je me suis livré à un exercice de réflexion et d’autocritique.»
On est loin des accents triomphalistes entendus le soir de l’élection. GND parle désormais ouvertement de son incapacité à créer une coalition intergénérationnelle et du risque de plafonnement de son parti. On peut presque toucher son vague-à-l’âme.
Je reviens à Bénabar, dont la chanson tente de nommer ce mal de vivre. Ce n’est pas du désespoir, chante-t-il, « ce n’est pas non plus du spleen /[…] Et c’est pas de la mélancolie. C’est dommage ça m’aurait plu, mais les chanteurs ont déjà tout pris, y’en avait plus/ Ce n’est qu’une triste compagne ».
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)