Torturer l’histoire (intégral)

Tiens, il me vient soudainement le goût de produire un documentaire. J’y ferais la démonstration qu’avant le référendum de 1995, le nationalisme québécois était étroit, fermé, xénophobe. Mais qu’après, il devint moderne, attentif aux minorités, ouvert sur le monde. Les faits seront vrais, je le jure. Mais le tri que j’en ferai, le poids relatif que je leur donnerai, le ton du narrateur (moi),  la sélection et le montage des entrevues d’invités et de commentateurs seront complètement assujettis à ma thèse.

Je commence.

La noirceur

Dès sa création en 1968 le Parti québécois se distingua par une rhétorique ethnique revancharde. Son chef, René Lévesque, utilisa d’emblée l’expression réductrice « nous autres » et n’arrêta pas de dénoncer comme ‘Rhodésiens’ les citoyens anglophones du territoire. Pour stigmatiser l’immigration, Lévesque les accusait à répétition d’être les instruments de la « noyade » des Québécois. Pendant la campagne référendaire de 1980, il poussa la mesquinerie jusqu’à accuser Pierre Elliott Trudeau, un Québécois, à avoir choisi le côté Elliott, de sa mère anglophone, plutôt que le côté Trudeau, de son père francophone. Lévesque avait choisi pour l’appuyer un intello maudit, Camille Laurin, qui affirmait vouloir que « le Québec soit aussi français que l’Ontario est anglaise ». Sachant que l’homogénéité linguistique de l’Ontario découle de l’interdiction, un temps, de l’école française, on mesure la cruauté de ce projet.

Terrorisés, des italo-montréalais résistèrent héroïquement à la volonté d’obliger leurs enfants à aller à l’école française, et furent poussés à l’émeute. Les Congrès juifs, italiens et grecs s’unirent pour s’opposer systématiquement au joug péquiste, appelant fièrement les membres de leurs ethnies à voter massivement pour la liberté et contre l’oppression. D’ailleurs, les citoyens grecs de la circonscription de Mercier, représentée par le poète-ministre Gérald Godin, ont toujours compris qu’il n’était qu’un cheval de Troie. Malgré toutes ses politesses, ils n’ont jamais voté pour lui. Nos concitoyens juifs avaient des raisons supplémentaires de craindre pour leur bien-être. « Ne vous y trompez pas, ces bâtards veulent nous tuer » leur révéla en 1976 un des leaders de la communauté, Charles Bronfman. L’auteur Mordecai Richler, fin connaisseur du Québec même s’il n’en parlait pas la langue, écrivait dans les publications américaines entendre des « bruits de bottes » et annonça qu’un chant péquiste était une traduction d’un hymne nazi. Ces inquiétudes étaient fondées. L’infâme loi 101, votée en 1977, arracha à tous les futurs immigrants le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Dans les entreprises de plus de 50 employés, le français imposa son règne au mépris des autres langues. Dans l’affichage commercial, c’était la totale: le français, seul, devait être vu. Toutes les autres langues, et surtout l’idiome de Shakespeare, étaient bannies, traquées par la vengeresse police de la langue. Lévesque allait d’ailleurs révéler le fond de sa pensée rétrograde en sortant d’une remise et en lui donnant une place de choix devant le Parlement la statue de Maurice Duplessis, incarnation même du nationalisme conservateur répressif.

La solution en cliquant ici.

La lumière

Heureusement, la génération suivante de chefs indépendantistes tournèrent le dos à cette vision étriquée du nationalisme pour faire place à un projet complètement nouveau. Il fallait d’abord établir l’harmonie avec la minorité historique du Québec, anglophone. Jacques Parizeau, d’abord, diplômé de la London School, s’y attela avec fougue.  « L’anglais est la lingua franca nouvelle, dit-il. Il faut qu’on en favorise l’acquisition comme on le fait dans les pays européens. Comme je crois que les dirigeants de notre société seraient grandement avantagés s’ils pouvaient s’exprimer en anglais ». Il promit d’ailleurs de « botter le derrière » de ses ministres qui ne seraient pas bilingues. Il demanda à une de ses députés d’ascendance irlandaise, Jeanne Blackburn, de formuler des propositions pour que les droits anglophones soient introduits dans le programme péquiste (ce qui fut appuyé par les deux tiers des délégués, enfin désintoxiqués de l’influence néfaste des Lévesque/Laurin). Parizeau l’inséra ensuite dans sa loi référendaire, assurant aux anglos-québécois davantage de droits dans un Québec souverain que les francophones n’en ont au Canada, ainsi qu’un droit de veto sur tout changement les concernant. Les mots me manquent pour décrire la gratitude avec laquelle ces changements ont été accueillis dans la presse anglo-montréalaise et torontoise.

Il ne fut plus jamais question de Rhodésiens, de noyade ou d’interdire l’anglais sur les affiches. Le leader suivant, Lucien Bouchard, alla réitérer cette volonté de vivre ensemble lors d’un discours historique au Centaur. Ensuite, Pauline Marois brisa un tabou en nommant un de ses ministres spécifiquement responsable du dialogue avec les anglos.

La seconde tâche d’ouverture concernait les peuples autochtones. C’est Bernard Landry qui frappa le plus fort, signant avec les Cris une « Paie des Braves » que le chef Cri Ted Moses cita partout comme un exemple exceptionnel de concorde entre autochtones et Blancs. Landry signa aussi l’entente historique avec les Inuits ouvrant la porte à leur gouvernement autonome. Le PQ fit entrer en 2007 dans son caucus le premier député autochtone de l’histoire du Québec : Alexis Wawanoloath, un Abenaki.

L’après 95 vu aussi se multiplier les gestes d’ouverture envers les Québécois issus de l’immigration. L’uruguayen d’origine Joseph Facal devint rien moins que Président du conseil du trésor. Le camerounais d’origine Maka Kotto, ministre de la Culture. Une cambodgienne d’origine devint vice-présidente du PQ en même temps qu’un économiste né au Gabon Président. S’inspirant d’expériences étrangères, Pauline Marois alla jusqu’à proposer l’instauration d’une citoyenneté québécoise qui serait d’abord octroyée à tous les citoyens québécois actuels, faisant en sorte que tous les anglos et tous les québécois issus de l’immigration en soient automatiquement dotés. Un signal d’inclusion fort. Pour les nouveaux arrivants, la procédure aurait été identique à la canadienne: démontrer une connaissance minimale de la nation d’adhésion et en parler la langue officielle.

Dans cette foulée en 2017, entouré de représentants de communautés, un chef péquiste déposa à l’Assemblée nationale un projet de loi proposant davantage de mesures antiracistes que tout ce qu’on avait connu auparavant.

Surtout, une nouvelle alliance s’est formée dans l’après 95 entre les féministes du Parti québécois et un groupe de 150 femmes immigrantes d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, qui avaient choisi le Québec justement pour l’égalité quelles y avaient trouvé pour les femmes et pour sa pratique de distinction nette entre l’État, progressiste et ouvert, et les religions, conservatrices et rétrogrades. Ensemble, côte-à-côte, québécoises de souche et d’adoption ont fait avancer le Québec vers une plus grande laïcité de l’État en militant contre l’affichage de signes misogynes chez les employés de l’État.

Les signes de ce nouveau nationalisme étaient aussi visibles dans une nouvelle jeunesse décomplexée. Des voix comme le sénégalais d’origine Boucar Diouf en sont le porteur, ou le cinéaste phare de sa génération, Xavier Dolan, faisant une sortie indépendantiste en recevant un de ses prix à Cannes.

Fin du documentaire sous les applaudissements nourris à Cannes

***

Alors, qu’en avez-vous pensé ? Tout est vrai, pour l’avant comme pour l’après 1995. Croyez-vous que Radio-Canada accepterait de le diffuser ? Si oui, peut-être le trouverait-il cependant tellement biaisé qu’il ne le programmerait qu’à une heure de petite écoute, un samedi soir de printemps.

La réalité est plus riche et plus intéressante.

La réalité est que de Lévesque à aujourd’hui, le PQ a défendu la laïcité et les femmes, avant, pendant et après 1995. Il fut sans arrêt précurseur envers les Premières nations et a sans fléchir défendu les droits historiques des anglos. Il a même repris, récemment, la doctrine de la « convergence culturelle » inventée par Laurin pendant le premier mandat Lévesque.

Surtout, le PQ a toujours défini la nation québécoise comme fondée sur sa majorité francophone, qui donne un cœur et un sens à son identité, souhaitant accueillir en son sein les nouveaux venus. Cette continuité identitaire fut interrompue pour une période de 12 ans, depuis le soir du discours de Jacques Parizeau sur « des votes ethniques » jusqu’en 2007. Ce discours tragique, pour M. Parizeau et pour nous, mit sur ces questions le PQ sur la défensive, vulnérable aux attaques de repli sur soi qu’il avait de tout temps essuyées, et le conduit à une dénationalisation du projet d’indépendance, d’une perte, donc, de la raison forte qui fondait son existence.

Les discours révisionnistes en vogue accusant le nationalisme d’aujourd’hui d’être « conservateur » alors que celui d’avant 1995 était plus ouvert démontrent d’abord une totale méconnaissance de la réalité des années 1960 à 1995 (plusieurs de ceux qui commentent la chose n’étaient pas nés à cette époque) et son surtout nostalgiques de la période 1995-2007 où le nationalisme était honteux et se transformait lentement en un clone québécois du trudeauisme post-national canadien.

Heureusement, avec le discours sur le « Nous inclusif » de Pauline Marois en 2007, le nationalisme s’est a repris pied. Il est redevenu lui-même. Il est à nouveau certain de ce pourquoi il se bat: pour une nation singulière, sa langue, son histoire, sa culture, enfin sortie de sa période honteuse et qui, malgré les quolibets incessants, ne s’excuse plus d’exister.


On s’abonne en cliquant ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *