Cette chronique, bientôt illégale

Le ministre canadien de la Justice, David Lametti, est d’accord. Son collègue ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, grand ami du premier ministre, l’est aussi. S’ils n’agissent pas avec suffisamment d’empressement, le NPD déclare qu’il va leur forcer la main. Car la chose est urgente. Un peu partout au Canada, on trouve un nombre croissant de « négationnistes ». Des gens qui osent mettre en doute tout ou partie des récits autochtones et de la Commission vérité et réconciliation sur ce qui s’est passé dans les pensionnats. Il convient donc de taper sur ces malotrus à coups de Code criminel.

C’est l’une des principales recommandations du rapport de l’interlocutrice spéciale pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes, Kimberly Murray. Elle y écrit, en citant « de nombreux experts internationaux », que « le négationnisme est la dernière étape du génocide ».

Tout reposera sur le libellé. On suppose qu’il sera similaire à celui que vient d’adopter Ottawa pour l’Holocauste : l’infraction de « fomenter volontairement l’antisémitisme en cautionnant, en niant ou en minimisant l’Holocauste par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée ».

Je suppose qu’on trouve des imbéciles au pays pour nier que l’opération des pensionnats était une tentative de génocide culturel, dont l’objectif explicite était d’éteindre « l’Indien dans l’enfant ». D’autres nient peut-être aussi la quantité écrasante de témoignages portant sur les mauvais traitements, sexuels et autres, dont les Autochtones furent victimes.

Mais pourrais-je être poursuivi et incarcéré pour avoir écrit ici, et l’écrire à nouveau, que nous n’avons pour l’instant aucune preuve physique que des enfants ont été tués et enterrés au pensionnat de Kamloops, ce qui a déclenché la gigantesque controverse que l’on sait ?

Il y a deux ans qu’une étude au géoradar a trouvé dans le sous-sol des « anomalies » qui pourraient laisser croire à la présence de 215 sépultures. Deux ans que cette scène de crime est clôturée et que rien ne s’y passe. L’interlocutrice Murray a raison de s’indigner que des négationnistes tentent d’entrer sur le terrain, avec des pelles, pour déterrer la vérité. C’est inacceptable, et eux devraient être poursuivis, si seulement la nation acceptait de porter plainte à la police. Pour les 215 sépultures, dans un État de droit normal, lorsqu’un crime de cette ampleur est présumé, la quête de vérité doit primer et des exhumations doivent avoir lieu dans un délai raisonnable, à la fois pour les victimes et pour les accusés — ici les religieux, la GRC qui aurait fermé les yeux, les autorités qui auraient laissé faire.

Mais l’interlocutrice fait fi du processus normal d’enquête, du droit des accusés d’avoir accès à la preuve, voire du délai dans lequel tout le pays devrait savoir si, oui ou non, son histoire est entachée de crimes aussi innommables.

Au contraire, elle recommande que seules les nations autochtones soient responsables du traitement des zones de crimes, fait à leur rythme, dans un processus dont elle écrit qu’il pourrait prendre une décennie. Et tant pis si on décide de ne jamais creuser. Elle cite cette déclaration de la nation shíshálh, de la Colombie-Britannique : « [que] l’on trouve ou non des tombes anonymes, il existe suffisamment de preuves orales et d’archives documentées pour affirmer que ces sépultures existent ou ont existé ». Mme Murray ne pense pas que l’établissement rapide d’une vérité incontestable puisse être un atout.

Son rapport utilise d’ailleurs des mots choisis pour clore le débat. Elle fait la liste de 16 nations sur le territoire (aucune au Québec) qui ont « confirmé » la présence, au total, de 4352 « sépultures », « cibles » ou « anomalies ». Les mots « confirmation » et « confirmé » sont saupoudrés sur l’ensemble du rapport. Mais sur ces 16 sites, existe-t-il une seule preuve physique ? Oui, une. Sur le site de l’école industrielle Lebret, en Saskatchewan, une portion de mâchoire d’enfant, datant d’une centaine d’années, fut trouvée fin 2022 au sol, peut-être apportée là par un rongeur. C’est troublant, mais c’est mince, et aucune contre-expertise n’est autorisée. Le rapport nous informe de la découverte d’un autre ossement d’enfant autochtone de 14 ans en Ontario. Mais il datait de 1600, trop tôt donc pour être mis au passif du génocide.

Or voici, dans le cas emblématique de Kamloops, ce qui ne se retrouve pas dans le rapport. Des recherches d’archives indiquent qu’au cours des décennies, plus de 30 % du terrain en cause a été excavé, notamment pour des travaux d’aqueduc. Aucun ossement n’y a été découvert. Absent aussi ce rappel que l’auteur Tom Flanagan et l’ex-juge Brian Giesbrecth ont fait en mars 2022 : « Là où des excavations ont eu lieu à la suite de recherches au géoradar, rien n’a été retrouvé. Ce fut le cas à l’ancien Mohawk Institute de Brantford, à l’ancienne Shubenacadie Indian Residential School en Nouvelle-Écosse, à l’hôpital Charles Camsell à Edmonton et au pensionnat de Kuper Island en Colombie-Britannique. »

Mais pour l’interlocutrice, aucun doute n’est permis : « Les établissements coloniaux doivent céder le pouvoir et le contrôle aux survivants, aux familles et aux communautés autochtones. » Cela inclut bien sûr l’Église, présumée avoir été de loin la pire tueuse en série de notre histoire, mais qui doit collaborer sans demander le droit à la présomption d’innocence, à la contre-expertise, à la divulgation de la preuve, à la présence d’un avocat de la défense, voire simplement d’un enquêteur et d’un juge neutres.

Nous sommes donc dans un État où la recherche de la vérité et l’évocation des plus élémentaires règles de justice naturelle pour la résolution d’un crime de dimension historique sont en voie d’être criminalisées.

Alors, si vous lisez cette chronique en version papier, détruisez-la rapidement, avant qu’on vous accuse de complicité de négationnisme. Je serai cependant ravi si vous venez me rendre visite au pénitencier. Apportez-moi des oranges.

8 avis sur « Cette chronique, bientôt illégale »

  1. Le federal a tort de vouloir bâillonner et criminaliser toute personne ( historien. anthropologue, recherchiste..) qui veut apporter un éclairage sur cette réalité historique , car c’est deja un signe de reconnaissance d’une faute commise par le gouvernement fédéral de l’époque. On ne peit effacer le passé par le déni. On peut cependant s’en servir piur ne plys refaire ces erreurs.
    ( Il faut connaitre le contexte avant de juger avec les yeux d’aujourd’hui.)

    En effet, il existe plusieurs témoignages, documents et archives qui prouvent que le blâme ne doit pas être jeté sur l’Église catholique comme telle mais bien sur le gouvernement lui-même. Plusieurs religieux , ont sacrifié leur vie pour aider les Autochtones du mieux qu’ils pouvaient avec le peu de moyens qu’ils avaient.

    Voici un des témoignages du dramaturge cri, pianiste, auteur compositeur de renommée mondiale, Tomson Highway, qui décrit dans son nouveau livre « Perpetual Astonishment » que ses parents l’ont envoyé au pensionnat Guy Hill, au Manitoba, qu’il a obtenu son diplôme en étant le premier de sa classe, que le temps qu’il a passé au pensionnat de l’âge de 6 ans à 15 ans ont fait partie des neuf meilleures années de sa vie. Voici ce qu’il confie au journaliste Joshua Ostroff à ce propos :
    « Tout ce qu’on entend, dans l’enquête de la Commission Vérité et réconciliation du Canada sur le système de pensionnat, ce sont les choses négatives; on voit des dizaines de milliers d’enfants des communautés nordiques emmenés loin de leurs familles pour leur éducation. On dirait que personne ne s’intéresse au positif, à la joie dans cette école. Neuf des années les plus heureuses de ma vie, je les ai passées… dans cette école, a-t-il poursuivi. J’ai appris votre langue, pour l’amour de Dieu. Avez-vous appris ma langue? Non, alors qui est le privilégié et qui est le défavorisé?
    Vous avez peut-être entendu des histoires négatives de la part de 7,000 témoins dans le processus, a déclaré le dramaturge primé. Mais ce que vous n’avez pas entendu, ce sont les 7 000 rapports qui étaient des histoires positives. Il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui ont réussi dans ces écoles, qui ont des carrières brillantes et qui sont des gens très fonctionnels, très heureux, comme moi. J’ai une carrière internationale florissante, et cela ne serait pas arrivé sans cette école. »

    Monique Khouzam Gendron
    Gestionnaire et bibliothécaire professionnelle

  2. Et c’est dans ce cadre d’incertitudes et d’enquête à peine amorcée, c’est avec ces déclarations basées sur des faits non encore prouvés (et donc pas forcément avérés) qu’il y a eu ce chantage pour que le Pape vienent au Canada s’humilier et humilier l’Institution catholique !
    Jusqu’où certains groupes de pression seront-ils capables de faire plier des Gouvernements et des Institutions par une relecture de l’Histoire qui ne soit pas appuyée sur des recherches scientifiques ?
    Les mouvements de groupes se déclarant victimes d’un passé (réinventé ou non prouvé) ont-ils une légitimité pour imposer une tyrannie baffouant toutes les règles sociales et juridiques de notre Démocratie ?

  3. De fait, il n’y a aucune évidence historique permettant d’associer les pensionnats du Canada aux camps de la mort Nazistes et pour cause, les pensionnats n’étaient certainement pas des abattoirs à autochtones. Personne ne peut affirmer légitimement le contraire. Pourtant, l’allégorie associant les sépultures communes et les pensionnats au concept de « génocide » (qui date de 1944) incite plusieurs à le suggérer sans que personne, ni aucun média n’osent en nuancer ou préciser la portée. Vous dites que le Canada voudrait maintenant pouvoir emprisonner ceux le ferait!
    Depuis la « redécouverte » des cimetières à proximité des pensionnats j’ai entendu plusieurs personnes affirmer qu’il s’agissait maintenant de se rendre à l’évidence de leur assasinat. Cà me fait toujours bondir, ce qui ne manque pas de me faire passer pour un polémiste qui refuse de se conformer à l’opinion commune.

    Par ailleurs, il est certainement réaliste d’affirmer que les pensionnaires de ces établissements ont pu y subir les comportements criminels à caractère sexuel ou disciplinaire qui ont ravagé plusieurs pensionnats du monde catholique dans un contexte que nous élucidons depuis quelques décennies. N’est-ce pas dans ce contexte qu’il faut situer l’admission du premier ministre Trudeau et les excuses de la hiérarchie catholique romaine? Mais peut-on conclure pour autant à une volonté d’exterminer les autochtones du Canada dans le sens de « tuer tous » comme ce fut le cas pour les juifs par l’Allemagne Nazie? La réponse est clairement non.

    La réalité doit bien finir par triompher des allégories funestes qu’on brandit comme pour rendre plus inacceptable une réalité nettement différente. Le concept de « génocide culturel » est une aberration linguistique à saveur raciste qui occulte la distinction entre culture et race inclus dans le concept préexistant d’ethnocide. Malheureusement le concept de « génocide » est adopté sans aucune retenu dans les rapports de la Commission de vérité et de réconciliation. Le problème avec cette expression est bien que sous couvert de rétablir la vérité on crée une ambiguïté sur la nature des événements qui se sont effectivement déroulés dans ces pensionnats. Oui l’école produit une substitution ou une uniformisation culturelle qui portait ombrage aux diverses cultures autochtones des 160 000 jeunes qui ont fréquenté au fils des ans ces établissements subventionnés par le gouvernement fédéral. Mais pourquoi faire croire à nos contemporains que l’intention générale des promoteurs était de faire disparaître la culture autochtone? Pourquoi ne pas présumer la bonne fois d’une grande majorité d’occidentaux et reconnaître qu’on souhaitait plutôt intégrer ces humains à la culture occidentale alors que comme individus ils étaient issus de diverses cultures dont le dénominateur commun était qu’elles s’inscrivaient encore dans une époque où Sapiens était principalement un chasseur/cueilleur?
    Dans l’histoire de sapiens la volonté d’assimiler les conquis n’a-t-elle toujours été la mesure la plus clémente des conquérants?
    Le titre d’autochtone émane d’une loi raciste qui impose une preuve que l’essentiel de la lignée génétique du nominé remonte à la période pré-colombienne. Les distinctions de droits qui en découlent sont clairement contraires à l’énoncé no 1 de la déclaration universelle des droits de l’homme.

  4. Ma grand-mère s’est mariée à 16 ans avec un homme de 28 ans, mon grand-père, et est tombée enceinte peu après. Aujourd’hui ce serait un scandale. Elle est morte à 50 ans après avoir eu son dernier enfant à 46 ans et mon père à 44 ans.

    Au total elle a eu une vingtaine de grossesses en 30 ans, douze enfants ont survécu, les autres sont morts en bas âge, 10 ans et moins, et aucun de ses huit enfants morts entre 1908 et 1920 n’a de sépulture avec une pierre tombale où une marque indiquant où ils ont été enterrés. À un moment donné, il faut arrêté de juger le passé avec la vision d’aujourd’hui.

    On oublie aussi l’importance de la religion dans ce temps-là. Ma grand-mère n’a pas eu vingt grossesses pour rien. Le religion avait aussi son emprise sur les blancs et a provoqué bien des souffrances.

    Aussi, on oublie la magnitude du choc entre les descendants européens du temps face à des peuples essentiellement composés de chasseurs cueilleurs. Avez-vous idée de ce que ça représente? Les Européens ont fait cette transition graduellement sur des siècles, les amérindiens eux ont dû encaisser ce choc brutalement, sans compter tous les morts reliés aux maladies infectieuses. Relisez le livre ou voyez le film Robe Noire, ça rend très bien le tragique de cette rencontre baignée dans l’ignorance des deux côtés. Cette nouvelle culture trudeauiste de culpabilisés et de victimes essentielles est insupportable.

  5. Les pensionnats fédéraux ont volontairement été créés dans le but de  »Kill the Indian in the Child. »

    Le fédéral a aussi et sciemment affamé et maltraité les Métis et Autochtones pour ouvrir l’Ouest au chemin de fer et aux colons anglo-saxons :  »Canada … used a policy of starvation against Indigenous people to clear the way for settlement … infectious disease and state-supported starvation (were) combined to create a creeping, relentless catastrophe (against Métis and Natives) »
    CLEARING THE PLAINS : DISEASE, POLITICS OF STARVATION, AND THE LOSS OF INDIGENOUS LIFE
    https://uofrpress.ca/Books/C/Clearing-the-Plains

    Quant aux pensionnats fédéraux et leurs sépultures anonymes, c’est le peu d’empressement de la part d’Ottawa à financer les fouilles et les recherches qui fait défaut, car ce génocide culturel ayant été planifié par Ottawa, c’est au fédéral de payer pour des exhumations et pour les réparations.

    On se souviendra aussi que Trudeau, pourtant dépensier, a d’abord refusé de payer 40,000 $ aux victimes des pensionnats fédéraux, car, grand parleur et petit faiseur, Justin voulait encore et encore avoir d’autres  »conversations » à ce sujet : https://www.journaldemontreal.com/2019/10/04/enfants-autochtones-le-gouvernement-trudeau-conteste-le-dedommagement-prevu

    Soit dit en passant, la nation shíshálh nuit au processus en déclarant «[que] l’on trouve ou NON des tombes anonymes, il existe suffisamment de preuves ORALES … pour affirmer que ces sépultures existent…»

    Ça me fait penser aux Mohawks qui prétendent que leur tradition ORALE dit qu’ils sont propriétaires du territoire montréalais, alors que leurs véritables territoires ancestraux sont situés dans l’État de New York, autour de la Mokawk River.

    La Vérité et la Réconciliation prônée par les Autochtones devrait être basée sur des faits et sur du vrai, pas sur des pseudo preuves ORALES.

    Enfin, il faut souligner que les religieux étaient des soudards embauchés par Ottawa pour exécuter les sales politiques racistes du gouvernement du Canada.

  6. La première injustice se retrouve dans la loi elle-même. Ne pas considérer les autochtones comme des êtres humains car ils ne sont pas chrétiens et leur langue et culture comme nulle et non avenue. Jamais on aurait dû les arracher ces enfants à leurs parents et à les soi-disants rendre plus humains de force. Si il existe des registres d’admission il faudrait retrouver leurs traces, mariages, décès. Si non soupçonner leur disparition. Bien sûr la suite de l’histoire donne des excès d’interprétations et des fouilles sans doute abusives par moments. Quand a la vie dans les pensionnats, je crois qu’elle était très rude et pleine d’abus de toutes sortes. Mais cela dans tous les pensionnats, blancs comme autochtones. On ne deviens pas éducatrice et enseignantes en entrants dans les ordres. Pas plus qu’infirmieres ou TS. Comme se le sont autoproclames les différentes congrégations religieuses qui pratiquaient un dictat complet encore l’église catholique sur l’éducation, la santé et l’assistance sociale jusqu’à la révolution tranquille. Maintenant ils paient pour leurs péchés passés et pour des nouveaux gouvernants qui ne sont pas miséricordes.

    • Vous avez une vision bien sombre de nos communautés religieuses. Je me permet de vous rappeler certains faits. Avant l’imposition par le gouvernement canadiens de pensionnats, les écoles tenus par les religieux étaient placés près des communautés autochtones. Le gouvernement canadien a menacé de supprimer toutes les écoles pour les autochtones si les évêques concernés n’acceptaient pas le système de pensionnat. Les évêques se sont bien fait avoir alors que le gouvernement canadien allait de toute façon sous-subventionné ces pensionnant, laissant aux communautés religieuses le soin de courir après les dons pour nourrir leurs élèves. Comme ancien pensionnaire pendant sept années, je sais très bien qu’il y avait quelques pommes pourries dans les communautés religieuses. Comme ancien pensionnaire, je sais très bien aussi que la grande majorité des frères et soeurs ont donné leur vies pour les enfants qu’ils aimaient véritablement.

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