Le bulletin des journalistes

Les journalistes et les chroniqueurs ont l’habitude de distribuer accolades et taloches, en fin d’année, aux personnes qui, dans notre société, ont eu le cran de demander aux citoyens de voter pour eux pour obtenir le privilège de gérer les affaires de la cité et de recevoir, donc, accolades et taloches.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Ce ne serait qu’un juste retour des choses que des élus publient, chaque année, un bulletin des journalistes. S’ils ne le font pas, c’est qu’ils savent que, comme le veut l’adage, on ne peut jamais avoir le dernier mot lorsqu’on s’en prend à quelqu’un qui achète de l’encre à la tonne. Autrement dit, qui a le contrôle du message.

La politique m’ayant quitté, et possédant une expérience antérieure en journalisme, j’ai pensé être bien placé pour dresser cette liste. L’année 2021 étant derrière nous, je serais parfaitement disposé à recenser les biais, omissions, outrances et erreurs que tout professionnel du métier peut relever au fil des jours. S’il y en avait d’énormes, je vous en ferais part. Mais mon constat est que la presse québécoise a joué en 2021 son rôle avec compétence et rigueur et qu’on a davantage matière à souligner l’excellence que l’indigence. Dans le désordre, et sans prétendre à l’exhaustivité :

Thomas Gerbet, de Radio-Canada, qui avait naguère donné la parole au sonneur d’alerte agricole Louis Robert, a récidivé en 2021 en nous apprenant qu’une commission scolaire ontarienne brûlait des Astérix et des Lucky Luke, et que le ministère de la Santé avait reçu des courriels d’alarme avant l’hécatombe en CHSLD, entre autres trouvailles.

Isabelle Hachey, de La Presse, continue à documenter les affronts à la liberté d’enseignement dans les universités, pas seulement celle d’Ottawa. Son travail a pour beaucoup contribué à donner naissance à la commission présidée par Alexandre Cloutier et à son excellent rapport. Joseph Facal, dans Le Journal de Montréal, verse également avec régularité des pièces au dossier.

J’aurais beaucoup de bien à dire de l’équipe du Devoir, bien sûr, mais je veux souligner particulièrement le travail de Marie-Michèle Sioui et de Jessica Nadeau sur la discrimination envers les Autochtones dans le réseau de la santé, qui ont trouvé des cas que la commission Viens n’avait pas dénichés. À partir des audiences de la coroner sur l’affaire Echaquan, Jessica Nadeau a aussi offert une reconstitution des journées d’hospitalisation, puis du décès, de la tristement célèbre Joyce, avec plus de précision et de nuance que n’en contenait le rapport de la coroner Géhane Kamel elle-même.

En début d’année, Isabelle Ouimet et Félix Séguin ont livré sur Illico une remarquable série documentaire, La preuve, sur l’époustouflant échec de la tentative des policiers et des procureurs de mettre cent Hells Angels durablement derrière les barreaux en 2009. Tour de force : les Hells qui témoignent nous deviennent sympathiques. C’est la deuxième année qu’Illico nous offre une série documentaire de très grande qualité, la précédente étant Le dernier felquiste. Mention aussi pour La brèche sur l’affaire Huawei et le pillage de Nortel.

L’excellente émission Enquête, animée par Marie-Maude Denis, ne rougit pas devant cette compétition bienvenue. Cette année, des reportages nécessitant un énorme travail ont permis de suivre des millions de dollars de la corruption de l’ère Vaillancourt à Laval à travers le dédale des paradis fiscaux ou de retracer le sans-gêne avec lequel le donneur de leçons Jacques Villeneuve a camouflé son énorme pactole.

ÀTVA, Pierre-Olivier Zappa est l’étoile montante de la vulgarisation économique. Son moment de gloire fut la question qu’il a posée en français au président d’Air Canada, Michael Rousseau. La question et la stupéfiante réponse (in English) ont fait l’événement.

Après cinq ans à la barre de la chronique politique la plus écoutée au pays (oui, au pays), Bernard Drainville a choisi de baisser de régime avant que le manque de sommeil ne finisse par grever son entrain. Il avait le redoutable défi de succéder à l’inimitable Jean Lapierre (et non de le remplacer, ce qui était impossible) au micro de Paul Arcand au 98,5. Il a réussi à occuper le créneau avec brio et à se rendre indispensable. Bonne chance au suivant, Jonathan Trudeau.

On ne peut parler de l’univers médiatique québécois sans souligner l’extraordinaire succès remporté en France par Mathieu Bock-Côté. Il anime le samedi soir Il faut en parler, dont l’audience sur CNews est plus forte que celles, à la même heure, des trois autres chaînes françaises d’info en continu. Il offre un édito quotidien en ondes le reste de la semaine, participe le dimanche matin à la grande entrevue politique sur Europe 1 (tous les futurs candidats présidentiels y passent). Le Point lui a consacré un portrait flatteur, Le Monde, un portrait grinçant et truffé d’erreurs. Au moindre prétexte, il parle, en bien, du Québec. Aussi énergique et polarisant là-bas qu’ici, il occupe une place dans l’Hexagone qu’aucun Québécois non chantant n’y a jamais occupé.

Mention finalement à Stéphan Bureau. On peut penser que son entrevue de juillet avec le sulfureux Didier Raoult manquait de mordant. Mais elle était plus acceptable que le choquant précédent qu’a voulu créer l’ombudsman de Radio-Canada, décrétant qu’à l’avenir, tout intervenant déviant de la pensée consensuelle devait être précédé ou suivi d’un panel de gens bien pensants qui diraient pourquoi il a tort. Bureau a eu raison de dénoncer, en ondes, cette dangereuse tentative de stérilisation de la parole.


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