François Legault aime répéter qu’il sera le premier ministre qui aura mis un terme au déclin du français et qui aura renversé la tendance. La loi 96 était certainement un premier pas en ce sens. La décision d’exiger de tous les futurs immigrants économiques une connaissance du français de niveau 7 (sur une échelle de 11) au point d’entrée fut ensuite une avancée majeure. Dommage qu’il ait depuis complètement raté sa politique sur l’immigration temporaire, dont la présence est neuf fois plus importante que les permanents, et qui a donc neuf fois plus d’effet sur nos équilibres.
La seule présence de ces immigrants temporaires, pour beaucoup anglicisante, suffit amplement à engloutir les effets positifs des autres mesures. Leur nombre augmente désormais de 100 000 par an. Il est donc raisonnable de penser que, de 470 000 cette année, on passera allègrement le cap du demi-million l’an prochain, touchant peut-être les 600 000. La proposition de M. Legault de demander à quelques dizaines de milliers d’entre eux de démontrer qu’ils peuvent, après trois ans chez nous, commander un café dans notre langue (c’est le niveau 4) pour avoir le droit de rester est à ce point dérisoire qu’on se demande qui a pu le convaincre qu’il s’agissait là d’une mesure forte. (1. Trouvez cette personne ; 2. virez-la.) Le fait est que, si la tendance se maintient, François Legault aura été dans notre histoire le premier ministre ayant le plus accéléré le déclin du français. Un louisianisateur.
Tout indique qu’il s’apprête aussi à laisser s’échapper une occasion unique de modifier positivement la dynamique linguistique étudiante à Montréal. La décision, bâclée, de doubler les droits de scolarité des 15 000 étudiants canadiens-anglais au Québec en dissuadera peut-être la moitié de venir. Ils seront remplacés dans les institutions anglos par un nombre équivalent ou supérieur d’étudiants étrangers, pour l’essentiel unilingues anglophones, dont le nombre n’est pas plafonné, et qui croît chaque année. Un coup d’épée dans l’eau.
Un coup, toutefois, suffisamment dur à court terme sur le plan financier pour ébranler la superbe des universités McGill et Concordia. Elles se sont concertées avec Bishop’s pour présenter lundi une proposition qu’elles qualifient d’historique. L’est-elle ? À mon avis, oui. Pour trois raisons. D’abord, les trois universités reconnaissent que le français est en déclin au Québec, en particulier à Montréal. Cela peut paraître normal, mais ce ne l’est pas dans la communauté anglophone. Ensuite, les trois affirment qu’il est de leur responsabilité de contribuer à la vitalité du français. C’est un changement de paradigme considérable. Finalement, et de façon plus importante, elles proposent de faire de la connaissance du français un élément obligatoire du cursus pour une partie de leurs étudiants. Voilà la brèche dans laquelle il faut foncer.
Une partie de l’anglicisation de Montréal vient du fait que chaque année, les institutions anglophones déversent dans le marché du travail des milliers de nouveaux diplômés anglophones incapables de suivre une conversation professionnelle en français, de lire ou d’écrire le mémo du jour. Ils imposent donc l’anglais langue commune à leur entourage francophone L’effet de la loi 96 sur les cégeps anglos, soit l’imposition de cinq cours DE français et/ou EN français va faire une partie du travail de redressement.
Il faut saisir l’offre des universités et surenchérir. Elles s’engagent à mener au niveau 6, d’ici trois ans, 40 % de leurs étudiants non francophones. Notons que, lorsqu’elles admettent un francophone dans leurs cours, elles lui demandent un niveau 8-9 d’anglais.
Voici ce que Legault-le-renverseur-de-tendance pourrait faire. Prendre les 40 % sur trois ans, mais à condition de l’étendre progressivement à 100 % en quelques années de plus. Faire en sorte qu’en fin de premier cycle, 10 % des cours soient donnés EN français. Faire de l’atteinte du niveau 8-9 de français en fin de premier cycle une condition de l’obtention du diplôme de fin d’études pour tous. Ce qui signifie à la fois les étudiants anglos et allos venus du Québec, venus du Canada ou de l’étranger. Lier une partie du financement des universités à l’atteinte de ces résultats. Prolonger les 10 % de cours/activités EN français aux cycles supérieurs. (C’est d’autant plus réalisable que la proportion de professeurs francophones dans les universités anglos est non négligeable.)
Le bénéfice de cette opération sera bien plus grand pour le français que la mesure récemment imposée sur les droits de scolarité. Si l’objectif était, plutôt, de réduire le nombre d’étudiants, l’exigence du français obligatoire imposerait son propre tri. Seuls ceux qui sont intéressés par cette ouverture feront le déplacement. Les autres, unilingues irréductibles, iront ailleurs. Tant mieux pour eux, et pour nous.
Il faut surtout savoir que pour quelqu’un qui partirait de zéro, l’atteinte du niveau 6 exigerait une ou deux sessions de français à temps plein. Il est donc certain que McGill et Concordia devront recruter, au point d’entrée, des étudiants qui ont déjà une base de français.
Je note aussi qu’au-delà de la langue, les universités proposent d’offrir à leurs ouailles « une meilleure compréhension de la société québécoise ». Vous avez dit culture ? Histoire ? Valeurs ? Il faut les prendre au mot, exiger que cette intention recouvre une réelle transmission de québécitude aux étudiants.
Évidemment, pour atteindre ces objectifs, il faut revenir sur la décision antérieure sur les droits de scolarité, ou alors la moduler plus intelligemment. Le jeu en vaut clairement la chandelle. La réaction venue de la ministre Pascale Déry, lundi soir, ne semblait pas pointer dans cette direction. Reste à espérer que François Legault saisira l’occasion historique qui se présente à lui. Qu’il soit l’adulte francophone dans la pièce.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)