Trump 2024

C’est entendu, Donald Trump ne s’attendait absolument pas à devenir président. Sa campagne de 2016 était une colossale opération de mise en marché visant à augmenter la valeur de sa marque de commerce. Sonné par la décision des électeurs de lui offrir la Maison-Blanche, il vécut d’abord un réel problème d’adaptation. Il estimait que les appartements privés de la résidence présidentielle étaient moins luxueux que son domicile new yorkais. Il s’ennuyait de ses deals immobiliers et de sa vie sociale dans la grande pomme. D’autant que l’establishment républicain plaçait autour de lui des chefs de cabinets qui tentaient de le cadrer, de l’encadrer, de le recadrer.

Faire campagne était un plaisir. Gouverner, un fardeau. Dans un moment de lucidité, incapable de proposer une réforme de la santé pour remplacer Obamacare, Trump déclara: « c’est plus compliqué que je pensais ».

(Une version légèrement plus courte de ce texte a été publié dans Le Devoir de samedi.)

Il lui a fallu du temps avant de s’habituer à ses nouveaux habits. « Je suis président des États-Unis » affirmait-il encore en public, deux mois après son intronisation, sur le ton incrédule du gamin qui a obtenu le plus beau jouet du magasin. Puis il y a pris goût. S’est débarrassé de tous ceux qui le contredisaient. Le recadreur, ce serait lui. Pour un narcissiste désinhibé comme Donald Trump, n’y a-t-il pas plus belle fonction que celle qui vous met en permanence au centre du jeu ? Un conseiller confiait que Noël était un des moments que Trump aimait le moins, « car l’événement n’est pas à son sujet ».

L’idée de rester pour longtemps à la Maison Blanche a pointé son museau lorsqu’on a entendu Trump se montrer jaloux de la décision du président chinois de diriger, à vie, l’Empire du milieu. Puis il s’est mis à ponctuer ses discours de déclarations étranges sur le fait que, ses adversaires ayant tenté de lui voler sa première élection, il aurait droit, en échange, à un troisième mandat, quoiqu’en dise la constitution.

Depuis un an les nombreux interlocuteurs que Trump appelle pendant la matinée, qu’il passe dans ses appartements, ou jusque tard en soirée, rapportaient que le président ne pouvait désormais s’imaginer retourner à la vie privée. Lorsqu’on a dirigé la première puissance mondiale, tissé des liens d’amitié avec les autocrates de la Corée, du Brésil, de la Turquie et de la Russie, transformé l’appareil judiciaire à son goût et enrichi ses amis milliardaires, multiplié les permis de polluer tout en jouant régulièrement au golf, qui peut vraiment se passionner à nouveau par l’ouverture d’une nième Trump Tower ?

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Lorsqu’à deux heures du matin, mercredi, Donald Trump a déclaré victoire, réclamé qu’on cesse de compter les votes et accusé ses adversaires de fraude, il exprimait davantage qu’une pulsion autocratique. On entendait aussi le cri de détresse de l’homme qui ne se conçoit désormais plus autrement que président. Qui ne se conçoit pas vaincu, certes, mais qui est saisi par la peur du vide.

On sent bien qu’on a quitté le terrain de la raison lorsqu’on l’entend inventer ses victoires et les fraudes de ses adversaires. L’explication du politologue Pierre Lenain, dans son essai Le mensonge politique, lui va à ravir : « Le menteur finit par croire aux mensonges qu’il fabrique, par se forger un passé reconstitué et par construire un système arbitraire de justifications. Le menteur a bonne conscience. »

Chassé du pouvoir, sincèrement convaincu d’être victime d’une escroquerie, Trump entreprendra dès janvier 2021 sa campagne présidentielle de 2024. Les Républicains, même les plus conservateurs, qui espéraient s’en débarrasser vont devoir subir sa présence et son ascendant considérable sur la base électorale et militante du parti. Chef de l’opposition, Donald Trump restera omniprésent dans les médias et poussera les Sénateurs républicains à n’accepter aucun compromis avec le nouveau président.

Les républicains modérés et la santé mentale de la nation n’ont qu’un espoir : que les procureurs de l’État de New-York aillent au bout de leurs poursuites contre Trump et le mette sous les verrous. Maintenant dépouillé de son écran juridique présidentiel, le citoyen Trump pourrait être reconnu coupable de fraude électorale – pour avoir acheté le silence de la porn-star Stormy Daniels – de fraude fiscale – pour avoir illégalement rétribué sa fille – et d’obstruction de la justice dans l’enquête de Robert Mueller sur la collusion de sa campagne avec la Russie.

Sans aucun doute, Trump va émettre un pardon présidentiel l’exonérant, lui et sa famille, de toute poursuite. Ce sera le premier cas d’auto-pardon dans l’histoire et il devra être testé devant une Cour suprême dont il a nommé trois membres. Si son pardon survit à ce test, il ne couvrira que les crimes fédéraux. Trump pourrait encore être condamné pour des fraudes fiscales ou électorales relevant des États. La capacité des milliardaires à allonger les délais et les appels étant ce qu’elle est, Trump voudra faire trainer les choses jusqu’en 2024 dans l’espoir de trouver à nouveau refuge à la Maison-Blanche.

Les autorités sanitaires nous somment d’apprendre à vivre avec le virus. La realpolitik nous impose d’apprendre à vivre avec le Trumpisme.

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4 avis sur « Trump 2024 »

  1. Bonjour M. Lisée.

    Vraiment, enfermer Trump? Enferme-t-on également ses 70 millions d’électeurs comme si Trump, le grand magicien maléfique, a créé ces gens qui n’existaient pas. Pas votre meilleur billet. Oh, et que fait-on de Hunter Biden, ah non, il est du bon bord lui, alors on laisse tomber?

    • C’est un peu rapide M. Beaudoin de critiquer tout le texte de M. Lisée parce que vous mettez en doute un seul élément des multiples hypothèses qu’il évoque.

  2. Pour que Trump se fasse un auto-pardon, d’ici le 20 janvier prochain, il faudra qu’il reconnaisse qu’il a fait au moins une faute. Sera-t-il capable de piler sur son orgueil publiquement, même si c’est pour se protéger? Il est présentement prêt à contester le résultat des élections au tribunal, c’est là bien une preuve de son égo démesuré. Alors pourquoi vous ne doutez pas de son futur auto-pardon, Monsieur Lisée?

  3. Des plus d’accord, M. Lisée représentant l’un de nos grands érudits. Il est la preuve indéniable de cet énoncé de Boileau :  » ce que l’on conçoit clairement, les mots pour le dire (l’écrire …) viennent aisément. Tout autant de l’écouter lorsqu’il exprime ses opinions, ses idées, il est des plus intéressant. Une grande fierté pour le Québec.

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