La nouveauté de la campagne à l’investiture démocrate américaine n’est ni le favori Joe Biden, dont c’est la troisième tentative, ni le socialiste Bernie Sanders — il incarnait la nouveauté en 2012 — mais Elizabeth Warren.
La prof d’économie a surgi dans le débat national au moment de la crise économique de 2008. Son diagnostic était sans appel: la déréglementation financière était à la source du dérèglement. Conseillère épisodique de Barack Obama (qui, malheureusement, ne l’écoutait que très peu) elle a proposé, puis dirigé, une nouvelle agence de protection des consommateurs face à l’arbitraire financier.
Les progressistes américains ont découvert en elle un curieux mélange de connaissance fine des enjeux économiques et de leur impact sur la vie des salariés modestes, d’une part, et une ferveur considérable dans l’expression. C’est particulier.
Cette combinaison a permis à Warren de devenir, d’abord, Sénatrice du Massachusetts et, ensuite, de se placer dans le trio de tête de la course démocrate à la présidence. La situation se présente comme suit: Contrairement à Joe Biden et à Bernie Sanders, dont la personnalité et les positions sont connues de l’électorat démocrate, Warren gruge des appuis à mesure que les électeurs la découvrent, un processus loin d’être complété.
Un des scénarios les plus probables est que, si elle domine Sanders dans les premières primaires de 2020, le retrait de Sanders fera basculer vers elle un très grand nombre de ses supporters, ce qui lui permettrait de battre Biden et de devenir la candidate démocrate.
C’est, entre autres mais pas seulement, pourquoi la lecture de son bestseller A fighting chance (malheureusement pas disponible en français, mais en espagnol) vaut le détour.
C’est un mélange d’autobiographie, de vulgarisation économique, de témoignages de salariés vivant dans la précarité malgré une économie en croissance, de récit de ses combats pour ses causes au Sénat, de propositions de réforme.
Tout cela emballé dans une langue accessible. Efficace, informé, concret.
L’effet toxique de l’argent en politique
Je suis habitué à ce genre de texte et à la description de l’effet toxique de l’argent dans le système politique américain. Par exemple, elle reprend ce chiffre qu’on oublie toujours car il est invraisemblable: les représentants et sénateurs en exercice doivent consacrer entre 30 et 70% de leur temps à la collecte de fonds pour leur prochaine campagne électorale. S’ils travaillent six jours par semaine, ce qui est la plupart du temps le cas, cela signifie qu’ils passent entre deux et quatre jours par semaine à ne parler qu’à des gens assez riches pour financer leur campagne.
Mais Warren a réussi à me faire bondir avec les exemples qui suit.
On sait que les grands patrons financent les campagnes électorales à tous les niveaux, que les lobbyistes écrivent directement les lois présentés par les Républicains et les démocrates qui sont encore à leur service, qu’ils financent les organismes qui forment des juristes conservateurs que les Républicains nomment à tous les étages de l’édifice judiciaire américain.
Mais je ne savais pas ceci:
« Comptabilisant sur une récente période de quatre ans, la Fondation Koch (fortune pétrolière), la Chambre de commerce et les multinationales comme ExxonMobil et Pfizer, ont assumé la facture de 185 juges fédéraux pour plus de 100 voyages toutes dépenses payées. »
Wow. Des juges fédéraux.
On connait la pratique de la « porte tournante » entre les postes de cadres supérieur des grandes banques newyorkaises et les postes-clé du gouvernement américain en matière de finances, au Trésor comme à la Maison-Blanche. Il est maintenant bien vu, à Wall Street, d’avoir passé quelques années dans l’administration.
Malheureusement (?!), même sous Trump, Washington ne peut égaler les salaires faramineux encaissés chaque année à New York.
Warren raconte le cas ubuesque de Antonio Weiss, pressenti par l’administration Obama pour un poste important au Trésor. Venant de la banque Lazard, qui avait déménagé son siège social dans un paradis fiscal, Weiss avait entre autre aidé Burger King à se soustraire à l’impôt américain en déménageant ses quartiers généraux au… Canada !
Weiss fut nommé au poste convoité, mais Lazard lui a accordé 21,2 millions de dollars US de « salaire différé » qu’il toucherait dès son retour chez Lazard ! Comme son rôle au trésor était de superviser les politiques économiques, y compris en ce qui concerne le domaine financier, Lazard avait un bon employé dans la place.
Warren consacre plusieurs passages à expliquer ce qui est très difficile à saisir. L’économie américaine va bien, le taux de chômage est au plus bas, alors comment peut-on parler de misère économique ? À travers des cas précis, elle explique comment la stagnation des salaires au bas de l’échelle maintient une partie des Américains dans des conditions de précarité permanente. L’effondrement du pouvoir syndical, l’affaiblissement des normes minimales du travail et la quasi-inexistence d’inspection du travail a poussé de grands employeurs à rogner sur les horaires, les bénéfices marginaux, les salaires.
On sort de cette lecture convaincu que son auteure a non seulement le cœur à la bonne place, mais la connaissance et l’énergie voulue pour réformer l’Amérique.
Un extrait de ma dernière balado:
La démission qui vous coûte 600 000 $
De mon point de vue très novice en politique américaine, il semble que Madame Warren aurait de très bonne chance de devenir la première présidente des États-Unis.
Bien que perçue à gauche de l’échiquier, son expertise reconnue en droit et en économie, son relatif conservatisme et son passé républicain pourraient l’aider à convaincre des républicains modérés de la suivre.
Aussi, j’ai l’impression que l’actuel président aurait davantage de difficulté à s’en prendre à madame Warren qu’à monsieur Biden. Il risque de glisser sur plusieurs peaux de bananes.
La bataille pour sauver la classe moyenne américaine est perdue tant que des politicien.nes de là vont se battre pour que l’Amérique redevienne Grande à nouveau. Sans vouloir m’immiscer : non ingérence mais non indifférence ou quelque chose du genre.
Monsieur Trudeau, à court et à moyen termes, la bataille pour que la classe moyenne canadienne soit plus riche relève de l’exclusion du Québec du Canada; j’écrirais. À long terme, j’écris pas. J’écrirais plutôt que j’écris, pour ne pas avoir à dire un jour j’ai écris. Non ingérence mais non indifférence.
L’humanité est-elle à un tournant juridique après le passage de la démocratie directe à la démocratie représentative restreinte, de la démocratie représentative restreinte à la royauté, de la royauté à la démocratie représentative élargie ? J’ai pu oublier des passages pour écrire court. À quand la déshumanisation de la politique, la mathématisation de la volonté des États-Nations ? Non ingérence mais non indifférence.
J’ai appris récemment que même Robert Bourassa aurait dit au moins une fois : Qui ne risque rien n’a rien.
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