Les brutes

J’ai beaucoup hésité avant de choisir le titre de cette chronique. Parmi les candidats, il y avait « Feu l’élégance ». Ou encore: les rustres, les féroces, les acharnés. Aussi, « l’impatience des fossoyeurs ». J’admets que le titre « les vampires » m’a aussi traversé l’esprit.

(Une version légèrement plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)

Je parle évidemment de François Legault et de Québec Solidaire et de leur volonté d’écraser le plus rapidement possible le Parti Québécois. (Transparence totale, j’étais chef du PQ de 2016 à 2018). Je ne leur reproche évidemment pas de vouloir occuper tout le terrain politique possible. C’est dans la nature de chaque parti de maximiser son électorat et parfois de souhaiter, secrètement, la disparition de ses adversaires. René Lévesque n’a versé aucune larme lorsque son action a fini de vider la vielle Union Nationale de ses électeurs.

Mais il y a la manière. Chacun rappelle aujourd’hui comment des premiers ministres successifs ont offert à des chefs de partis d’opposition d’entrer à l’Assemblée nationale en cours de mandat à la faveur d’une élection partielle. Pauline Marois l’avait fait pour Philippe Couillard. Jean Charest pour Pauline Marois et pour André Boisclair. Ils n’attendaient pas que la demande soit faite. Il s’agissait d’une élégance démocratique qui permettait au chef d’une force politique réelle de faire valoir son point de vue dans le temple de notre démocratie. Il est arrivé que l’offre fut faite, mais refusée. Ainsi, René Lévesque déclina la proposition de Robert Bourassa et l’alors nouveau chef libéral Paul-Émile Lapalme déclina celle de Maurice Duplessis. Ils préférèrent attendre l’élection générale.

Legault moins élégant que Duplessis

Oui, Maurice Duplessis, le truqueur d’élection, l’autocrate, l’emprisonneur de Témoins de Jéhovah et le casseur de syndicats a fait preuve envers son adversaire Lapalme de davantage d’élégance que François Legault n’en a montré ces derniers jours envers Paul Saint-Pierre Plamondon. Le chef de la CAQ, faut-il le rappeler, a poussé la mesquinerie jusqu’à ne vouloir se prononcer sur la présence d’un candidat caquiste dans Marie-Victorin que si PSPP déclarait d’abord sa candidature. Legault caresse le projet de faire poiroter le chef péquiste – l’élection ne pourrait être tenue qu’en avril – et l’obliger ainsi à faire campagne pendant six mois en ce seul endroit.

Cliquez pour commander. Versions numériques et AudioLivre disponibles.

Que Legault veille faire mourir le PQ n’est un secret pour personne. Selon le dernier Léger, chez les francophones, les trois partis d’opposition sont presque d’égale faiblesse — 13% pour le PQ, 12 % pour le PLQ, 9% pour QS. Mais Legault s’ingénie à couper spécifiquement l’oxygène du parti indépendantiste — qui l’a sorti de l’anonymat et l’a mis au monde politiquement en lui confiant les géants ministères de l’Éducation et de la Santé. Sa décision de surseoir à la réforme du mode de scrutin est un de ses outils. À nombre d’électeurs égaux, selon le dernier compte, QS gardera 4 de ses députés, le PQ, un seul. La proportionnelle mixte aurait partiellement corrigé ce déni de démocratie. Legault n’en veut pas. On voit pourquoi.

On ne peut évidemment reprocher à la CAQ son nationalisme et sa volonté d’occuper ce terrain. Mais son empressement à vampiriser les icônes péquistes exhale une forte odeur d’appropriation politique : désignation, par législation, d’une circonscription au nom de Camille Laurin, achat de la maison natale de René Lévesque. Se tenait récemment la « Journée Bernard Landry », initiative mémorielle louable pour quelqu’un qui a consacré sa vie à l’indépendance et qui pensait un mal immense de l’initiative caquiste incarnant, selon lui, un affairisme qui nous éloignait du pays. Hommes à l’emploi du temps débordés, François Legault et son ministre Pierre Fitzgibbon ont pourtant pris la peine d’enregistrer des vidéos flatteurs. Le chef et les membres du caucus péquistes, qui sont quotidiennement dans la tranchée pour porter à bout de bras porter le rêve de Bernard Landry, n’ont pas reçu de telles invitations.

La méthode solidaire

Peut-on reprocher à Québec Solidaire de présenter un candidat dans Marie-Victorin ? Non. La tradition veut que le parti au pouvoir s’abstienne d’empêcher l’élection d’un nouveau chef. Les autres partis font parfois de même, comme Mme Anglade le propose aujourd’hui, mais c’est l’exception, pas la norme.

Que le Politburo de QS ait décidé sans attendre de bondir sur la proie ne doit surprendre personne. Lise Bissonnette affirmait ces jours derniers qu’avec cette attitude « c’est la fin du moment où Québec Solidaire se présente comme un parti différent des autres ». Mon expérience est autre. QS a depuis longtemps fait preuve d’une brutalité politique exceptionnelle. En reniant sans l’ombre d’un remords en 2017 sa signature d’une entente longuement négociée entre quatre partis indépendantistes, il montrait son mépris pour la solidarité entre souverainiste, attitude répétée à chaque élection fédérale par son appui, tacite mais massif, à un parti fédéraliste centralisateur, le NPD, et son refus d’appuyer les indépendantistes du Bloc.

Lorsque l’existence de sa circonscription de Sainte-Marie-Saint-Anne fut mise en péril par le DGE, Manon Massé était heureuse de compter parmi ses principales alliés Carole Poirier, alors whip du PQ, qui ne compta pas ses efforts pour préserver la circonscription. En retour, Mme Massé s’investit ensuite avec fougue pour faire battre Mme Poirier dans sa circonscription de Hochelaga-Maisonneuve.

Une autre règle non-écrite veut que dans une campagne générale, les chefs ne se rendent pas dans les circonscriptions des autres chefs. En 2018, Mme Massé et GND ont fait davantage de porte-à-porte dans mon comté de Rosemont que je n’ai pu en faire moi-même. À leur décharge, et je l’ai peut-être déjà mentionné quelque part, ils ne sont pas chefs, seulement porte-paroles. Soupirs.

Cette normalisation de la brutalité en politique, cet effacement de l’élégance, la disparition des brefs moments de savoir-vivre démocratique entre adversaires, nous avilit collectivement. Le fait que cet acharnement désinhibé vise la disparition du seul véhicule crédible de l’espoir indépendantiste d’un peuple rend la chose historiquement déshonorante.

(PS: Des lecteurs m’ont demandé pourquoi le PQ était le seul véhicule « crédible » d’indépendance, puisque QS se dit aussi indépendantiste. J’ai expliqué dans un autre texte comment le programme de QS ne s’engage pas à faire l’indépendance, mais à élire une assemblée constituante représentative qui est irrémédiablement vouée à l’échec. On peut lire le texte ici.)


3 avis sur « Les brutes »

  1. Couillard, Marois et Boisclair se sont présenté dans des circonscriptions ou les sondages les mettaient déjà d’avance (voir même des chateaux forts). Depuis l’arrivée de PSPP le PQ se dirige vers la troisième place dans Marie-Victorin!

    Ce n’est que mon hypothèse! Il ne faut pas oublier que la tradition était pour les chefs d’opposition officiel et non le 3eim groupe d’opposition.

    Même si je suis loin d’être un sympathisant péquiste, je trouve dommage ce que devient le parti qui a aidé à créer le Québec d’aujourd’hui.

  2. « Feu » l’élégance, en effet.

    Mais ultimement, si le PQ devait disparaître aux prochaines élections, ce ne sera cependant pas la faute de QS ou de François Legault. C’est ce que les électeurs auront décidé. On peut s’en désoler ou s’en réjouir, c’est selon, mais ce sera un choix selon nos règles démocratiques.

  3. Je préfère que Paul se réserve Charlevoix-Côte-de-Beaupré-île-d’Orléans où il/les demeurent; donc attendre la générale, la nationale.

    Bernard Drainville n’a que 58 ans. Il s’est mérité Marie-Victorin de 2007 à 2018. Il a démissionné le 13 juin 2016 plutôt que de se représenter à la course à la chefferie voyant qui se présentaient …. Ça a permis à Catherine Fournier de faire son entrée et laisser sa marque et sa place récemment à l’Assemblée nationale pour la mairie de Longueuil. La Wikipédia de Bernard est foule fort phare éloquente. Un PQ rajeuni bénéficierait gros de son expérience, en particulier en matière de système électoral dont le mode de scrutin.

    Vous – « Sa décision (François Legault) de surseoir à la réforme du mode de scrutin est un de ses outils. »

    Moi – En effet ! Sa décision ne me semble pas définitivement prise, il a du temps, on verra !

    Vous – « La proportionnelle mixte aurait partiellement corrigé ce déni de démocratie. Legault n’en veut pas. On voit pourquoi.»

    Moi – Si peu que pas corrigé.

    Dans son mémoire à la Commission des institutions, 002M sur son site, Louis Morissette a écrit que le mode de scrutin du Pl °39 a été tellement bridé que ce n’est plus du proportionnel. Son nom est mixte compensatoire à listes régionales. Le terme proportionnel n’y figure pas. Louis Morissette est professeur titulaire retraité (depuis peu, janvier 2020) du Département de science politique de l’Université Laval. Il été invité par l’Assemblée nationale à présenté un mémoire comme expert.

    « Dans le projet de loi 39, cet idéal a été dévoyé d’une façon tellement systématique que le modèle proposé ne peut être considéré comme un système proportionnel. Le gouvernement actuel s’est d’ailleurs abstenu, dans son projet de loi, de le qualifier ainsi. »

    En primeur, voici où j’en suis concernant le Pl °39 à date à un dixième commentaire destiné à la Commission des institutions. Le dispositif d’accueil de commentaire offre depuis quelque mois 5 cadres qui suggèrent pour contenu objectif, modifications au projet, expérience, à propos des mémoires et commentaire. Voici où j’en suis à objectif.

    Objectif

    À l’automne 2019, en ajoutant un référendum en décembre à septembre, la volonté de la CAQ était je pense de procéder au débat envisagé comme base dans l’entente de mai 2018. Ce débat n’a pas eu lieu comme prévu lors de la campagne électorale qui l’a suivi. (vous savez mieux que moi)

    Au printemps 2020, après les consultations et les auditions, la Covid-19 s’est imposée et d’interminables négociations ont tenu fort occupée la marraine du Pl °39.

    Fin avril 2021, cette marraine a retiré son référendum, principal frein à l’application dès 2022 d’un nouveau mode de scrutin. Le nouveau frein devient le mixte compensatoire à listes régionales, impossible  de réaliser la carte électorale nécessaire à temps.

    Le 3 octobre, j’en étais à principe de changement adopté, pas par le PLQ. Merci élu/es CAQ, PQ et QS ! Ce serait aller de l’avant que de simplement bonifier juste ce qu’il faut le mode actuel et s’éviter ainsi combien d’insatisfaction.

    Le 21, la ministre et compagnie a avancé une motion sur la parité. J’y comprends que compte tenu de l’insatisfaction exprimée aux mémoires, cette cible passe maintenant avant ou s’ajoute à la proportionnalité, la régionalisation, la stabilité. La ministre et ses collaborateur/es en seraient à la tâche de mettre cette motion adoptée à l’unanimité en articles faciles à ajouter à la loi électorale à l’hiver ou au printemps :

    Motion. « – Qu’enfin elle (l’Assemblée nationale) demande à tous les partis politiques de s’engager à respecter le principe de la zone paritaire en présentant un minimum de 40 % de candidates lors de la prochaine élection générale.»

    Ce 40 % est moins que le 43,2 d’élu/es obtenu en 2018. C’est moins que le  45-55 pour zone de parité proposé par Groupe femmes Démocratie Politique, ce n’est pas le 50-50 de l’Intersyndicale des femmes qui en comptent 350 000.

    Par ailleurs, s’il faut croire Dimitri Soudas des Mordus de politique, le premier souci d’un gouvernement dès son élection est sa réélection. Il lui faut éviter l’insatisfaction sait Jean-Marc Léger.

    Pour plus de proportionnalité, plus de parité, moins de dérangement, au risque de plus d’élections, pourquoi pas dès octobre 2022 avoir pour objectif simplement de corriger notre mode actuel.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *