Pendant des millénaires, philosophes et théologiens ont épuisé les ressources de la rhétorique pour tenter de démontrer l’existence de l’âme humaine. Ils n’ont jamais atteint de certitude. L’absence de l’âme étant inconcevable, sa présence doit être arrachée au néant par la seule puissance de la déduction.
Ces débats n’ont plus lieu d’être. Le jugement rendu mardi par le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure du Québec, pourra être brandi dans tous les débats théologiques à venir. L’âme humaine existe. La preuve : son existence constitue un des fondements du droit canadien.
(Une version légèrement écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)
Le juge devait déterminer si l’on pouvait demander à une personne religieuse salariée de l’État de retirer ses signes religieux pendant ses heures de travail. Au paragraphe [1098], la lumière jaillit. La réponse est non, car « cette violation » atteindrait « l’âme ou l’essence même de cette personne ». Bigre.
Ailleurs dans le jugement, le magistrat est très tatillon sur la qualité de la preuve qui lui est présentée. Par exemple, il trouve peu convaincants les témoignages et les arguments sur l’effet que pourrait avoir sur des enfants la présence de signes religieux représentant, par exemple, la modestie et la soumission des femmes, portées par des figures d’autorité qui ont pour mission de servir d’exemple à la jeunesse. Même si une enseignante porte la burqa, symbole suprême de l’oppression des femmes, les jeunes n’en tireront selon lui aucun enseignement.
(Le texte se poursuit après la pub.)
Qu’en est-il de la qualité de la preuve sur l’existence de l’âme, nécessaire pour conclure qu’elle serait violée par la Loi sur la laïcité de l’État ? Malheureusement, sur 346 pages, on ne trouve pas le début du commencement d’un indice, d’une trace, voire d’un faisceau de présomptions sur lesquelles il s’appuie pour en décréter l’existence. Il la déclare réelle, lui donne vie et corps, par fiat. C’est quand même lui le juge, que diable !
Non content de proclamer son existence, il la connaît suffisamment pour nous dire ce qu’elle n’est pas. Des rustres ont eu l’outrecuidance d’affirmer devant lui que, puisqu’il est interdit aux employés de l’État de porter au travail des signes témoignant de leurs convictions politiques, sociales ou syndicales, l’interdiction devrait s’étendre aussi aux signes de conviction religieuse.
Que nenni ! Certes, admet-il, l’interdiction de ces autres signes viole la liberté d’expression du salarié, mais il ne s’agit pas là d’un droit fondamental qu’il sied de protéger. Pourquoi ? Parce que « cette violation n’atteint pas l’âme ou l’essence même de cette personne ». Vous avez consacré votre existence au féminisme, à l’écologie, à l’indépendance ? Sachez que votre vocation, même si certains de vos proches vous trouvent obsédés par elle, n’a nullement percolé jusqu’à votre âme ou votre essence. Cela n’a même pas laissé d’empreinte, contrairement à la religion, écrit le juge, sur « l’un des fondements mêmes de l’être ». L’enseignante qui s’est convertie à l’islam la semaine dernière, ou qui n’a jamais porté le hidjab mais s’en coiffe spécifiquement pour contester une loi de la CAQ, elle, doit être vue comme fondamentalement imbue, dans son essence spirituelle, par cet objet sacré dont elle est désormais indissociable. Le juge Blanchard le sait, car il détient les clés de l’âme, de l’essence, des fondements des êtres.
Un Dieu intolérant ou miséricordieux ?
Des audacieux lui ont dit que, sur le continent qui a inventé le concept même des droits de l’homme, l’Europe, des magistrats aussi studieux que lui avaient tiré des conclusions complètement inverses. Que le port de signes religieux n’est pas un droit fondamental. Les Belges ont même inventé un mot pour interdire l’affichage « convictionnelle » dans lequel ils mettent à égalité le macaron syndical ou la croix de Jésus. C’est qu’ils n’ont pas été frappés, comme notre juge, par la révélation de l’existence de l’âme.
Depuis plus d’un siècle en France, chrétiens, juifs et musulmans employés de l’État retirent leurs signes religieux avant d’entrer au travail et les remettent à la sortie. Malgré la vigilance constante de milliers de curés, de rabbins et d’imams, Dieu n’a, en 116 ans, donné aucune indication qu’il était mécontent de cet arrangement. On n’a signalé de sa part aucun refus d’entrée au paradis pour ses ouailles qui se sont pliées à la règle républicaine.
Il semble que Dieu serait moins clément de ce côté-ci de l’Atlantique. L’obligation faite aux croyants québécois de retirer leurs signes entraînerait, écrit le juge, « une conséquence cruelle qui déshumanise les personnes visées ». Oui, car elles ne pourraient ainsi agir « en fonction de leur âme et conscience, en l’occurrence leurs croyances ». Ici, le juge postule que les croyances de ces salariés les obligent absolument à porter ces signes, sous peine de… de quoi exactement ? De la réprobation de leur Dieu. En matière de respect de la croyance religieuse, si on ne tient pas pour avéré que Dieu réprouve un comportement, il n’y a pas de dilemme.
Porteur de vérités venant de l’invisible, l’honorable Marc-André Blanchard aurait pu éviter toute cette cruauté déshumanisante en proclamant aussi que Dieu est infiniment bon et infiniment miséricordieux. Qu’il ne tiendra donc nullement rigueur à ses enfants qui acceptent les normes sociales. Le magistrat aurait pu mobiliser saint Paul, qui implorait ainsi les Romains : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, […] si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement. » Il avait tout prévu, saint Paul, y compris le jugement.
De la nécessité d’un jugement Blanchard II
Mais le juge prend la direction inverse. Prétendant interpréter la constitution, il impose des vues exactement contraires à celles des constituants les plus récents. En 1998, des personnes à ne jamais inviter à la même soirée, Lucien Bouchard et Jean Chrétien, Pauline Marois et Stéphane Dion, ont modifié la constitution canadienne pour mettre fin aux commissions scolaires catholiques et protestantes du Québec et les remplacer par des structures laïques, les commissions scolaires linguistiques. Des commissions non-religieuses.
Notre juge ne capte aucun signal laïc dans cette décision pourtant récente. Brûlant d’une foi ardente dans l’importance du religieux dans la société, il accepte avec enthousiasme la volonté de commissions scolaires anglophones « d’engager et promouvoir des personnes portant des signes religieux parce qu’elles considèrent que cela participe à promouvoir et à refléter la diversité culturelle de la population ».
Le paragraphe suivant mérite d’être cité en entier, car il nous ouvre un univers de plaisirs pour les décennies à venir:
« Sans crainte de se tromper, le Tribunal peut affirmer que le bon sens, qui fait partie de l’attirail judiciaire, permet de conclure que l’absence systématique dans un espace social de personnes auxquelles une autre, partageant les mêmes caractéristiques, peut s’identifier constitue à la fois un obstacle dans la reconnaissance sociale de la valeur de ces caractéristiques, tout autant qu’un facteur de marginalisation pour tout individu qui visa à obtenir cette reconnaissance. »
Bon sang mais c’est bien sûr ! Le corps enseignant, le personnel de soutien même, de chaque école doit être représentatif des caractéristiques des élèves. Dans ce cas, il ne suffit pas de permettre aux enseignants de porter des signes religieux. Il ne suffit pas de le promouvoir. Car il est certain, comme le soulignait l’an dernier Guy Rocher, que les chrétiens s’affichent beaucoup moins, cette décennie-ci, que les musulmans ou les sikhs. Les élèves catholiques et protestants seront donc en danger de marginalisation, de non reconnaissance. Et qu’en est-il de la proportion grandissante d’enfants dont les parents sont athées ? On sent tout de suite leur malaise de ne pas se reconnaître parmi le kaléidoscope de signes religieux qui passera devant eux. Je ne vois qu’une solution, pour un jugement Blanchard II : imposer des quotas de signes religieux et athées dans le corps enseignant qui fluctueront avec l’évolution de la pratique religieuse ou athée dans la région où l’école est située. (Évidemment, je déconne !)
Le fait est que, si on retire la foi du jugement Blanchard, tout son édifice juridique s’écroule. La présomption de l’existence de l’âme et des représailles d’un Dieu intolérant, le postulat aveugle que chaque porteur d’un signe religieux y est spirituellement attaché et le refus de reconnaître la profondeur de convictions autres que religieuses sont, tous, des actes de foi du juge. Nous ne sommes pas dans le droit, nous sommes dans le dogme. Face au dogme, il n’y a qu’un remède : la laïcité.
Il ne faudrait pas oublier que nous ne sommes pas une république mais bien une monarchie. Qui dit monarchie, dit représentant de dieu sur terre et oui la présence d’âmes. Lorsque l’on tient compte de cette essence de notre régime parlementaire britannique on comprend pourquoi on retrouve dans le préambule de notre constitution canadienne, une référence à Dieu.
Nous ne serons jamais totalement laïque sans être dans une contradiction profonde avec notre constitution actuelle. Dieu y est omniprésent. C’est pas une question d’opinion mais un fait.
Napoléon ne croyait pas en Dieu et a justement tenu Dieu en dehors des lois de l’Empire. Il n’est pas Empereur par la grâce de Dieu mais par les constitution de la République.
Non, non, l’Empereur est plus laïc que le juge Blanchard
Bonjour..je devrais avoir le droit de refuser un agent avec symbole et recevoir le service d’un autre libre de cette manipulation idéologique du citoyen.
Monsieur Lisée,
J’apprécie votre humour. Les Blanchard de ce monde entendent-ils l’humour? Votre billet s’imposait. Seulement les Blanchard savent-ils lire? Oui, sans doute. Mais quoi? Des traités de théologie.
Bravo M. Lisée, pour cet article.
Le conclusion est claire. Nous avons des juges moyenâgeux. Ils eussent brûlée vive Jeanne d’Arc s’ils avaient vécu à son époque.
Il n’y a pas que le juge Blanchard. Toute la Cour suprême du Canada nage dans l’eau bénite. Dans le jugement même, j’ai constaté :
Un juge affirme : « Dans notre pays, il n’existe pas de religion d’État » (par. 357). Mais existe une cheffe de religion chef d’État de notre pays. Exite l’expression « suprématie de Dieu » dans notre constitution.
Si la nuance textuelle existe entre théocratie et monarchie constitutionnelle (à crédo chrétien), elle a des implications immenses qui sauvent ce qui peut être sauvé de la modernité. Mais son fond demeure. La religion est encore au sommet de l’État. La modernité ne peut tolérer qu’elle y demeure. Un médecin doit tolérer que son patient opéré d’un cancer du poumon continue à fumer. Pas un élu qui veut écrire des lois modernes avec un stylo «guidé par la main de Dieu» comme l’ont dit, au grand ridicule dans les médias, Mackenzie King et Claude Ryan, deux chefs de partis libéraux.
Clé de voute de notre constitution, la croyance cloue la « liberté de religion » au-dessus des autres droits, ou les infiltre pour les sacraliser à sa manière et sa couleur.
Plus encore, le juge Blanchard donne son accord au juge Dickson à l’effet que le repos du dimanche est plus un jour religieux qu’un jour de congé. Il couvre, par bigoterie évidente, le dimanche d’une religiosité que la sécularisation de la société ne voulait plus que comme congé. La résistance de la Cour à la modernité en restant ancrée dans le passé appauvrit la société freinée dans son mouvement émanncipateur d’une religion qu’elle délaisse peu à peu.
Cocasse aussi son raisonnement qui oublie que, dans son livre sacré la Sainte Bible, le 7e jour fut déclaré jour de repos, pas jour de prière : « IL se reposa au 7e jour » (Gn, 2.2) Est-il possible que la Cour suprême a-t-elle plus divine encore que Dieu ? Il faut lire ses jugements pour le croire.
Par ces détails significatifs on constate jusqu’à quel point une secte peut soumettre une conscience, même la plus instruite. Même une Cour Suprême.
Fédéraliste, je vais voter pour le Bloc à la prochaine élection car il est le seul parti fédéral qui sauve la Modernité des bigoteries(judaïques, chrétiennes, sikhs, musulmanes qui ont asservi les trois autres partis.
Je ne veux pas vivre dans un pays gouverné par des bigots incultes.
Vive Nancy Houston ! Vive Margaret Artwood ! et toutes les autres laïcistes du Québec et du Canada : Andréa Richard, Nadia E-Mabrook, et des centaines d’autres.
Moyen Âge et catholicisme arriérés, à la poubelle !
Je trouve bizarre qu’on discute du port du voile en le considérant comme signe religieux alors qu’il n’en est rien. C’est un signe culturel, voire un drapeau. Le débat devrait porter là-dessus d’abord. Il y a une cinquantaine d’années, nos religieux chrétiens ont accepté de ranger leurs soutanes sans pour autant manifester dans les rues. Et aujourd’hui, il faudrait abandonner nos propres valeurs sous prétextes d’arguments mensongers?
Vous avez parfaitement raison M. Charbonneau. Le voile islamique, selon la plupart des musulmans eux-mêmes, n’est pas un signe religieux. Pourquoi alors en avoir fait un signe religieux ici, me suis-je longtemps demandé. Ma conclusion est que c’est pour noyer le poisson.
Viscéralement incapables d’accepter le port de ce drapeau ennemi incompatible avec notre civilisation, de cette pancarte criarde qui clame haut et fort, et par les femmes elles-mêmes en plus, l’infériorité de la femme, de ce cheval de Troie qui nous hennie en boucle que nos valeurs fondamentales de pays d’accueil on peut se les mettre où on pense, on cherchait un moyen de l’interdire sans aller à l’encontre de nos principes de droit, de liberté, d’ouverture, de tolérance, d’inclusivité, mais on n’en trouvait pas. On s’est alors dit « on va en faire un signe religieux et ainsi on va le noyer dans l’ensemble des mesures applicables à la séparation des pouvoirs de l’Église et de l’État; personne, ou presque, ne va s’en apercevoir, ça va passer comme du beurre dans la poêle et tout le monde va être content! »
C’est comme ça qu’une interdiction partielle et timorée du voile islamique s’est retrouvée dans une Loi sur la laïcité de l’État. Cependant les défenseurs d’une religion comme l’Islam sont nombreux, bien organisés et très motivés et leur arrière-garde a une profondeur énorme dans plusieurs pays à travers le monde. Ils ont vite vu le subterfuge et organisé la défense des intérêts de leur communauté en conséquence. Ainsi, comme un minuscule virus peut infecter tout un corps, au lieu de noyer le poisson, on l’a mis sous la loupe d’un ensemble beaucoup plus vaste, sensible et bien défendu que le problème limité du début, on l’a mis sous le parapluie protecteur du principe de la liberté de religion. Le remède est pire que le mal.
Quel serait le vrai remède? Comme toujours, avoir le courage de ses convictions et appeler les choses par leur nom. Sortir le voile islamique des signes religieux et l’interdire partout sur la place publique non plus comme signe religieux mais parce que contraire à une de nos valeurs fondamentales non négociables (« à prendre ou à laisser, take it or leave it ») et assimilable à une incitation à la haine envers un groupe identifiable, les femmes.
Outre les manifestations de l’Islam rejetées par tous d’emblée comme le djihad, la charia, les mains coupées et quelques autres exactions extrêmes, la seule chose qui reste inacceptable pour nous ici ce ne sont pas les mosquées, le halal, la gandoura, le burnous, le ramadan, les sept prières par jour, les imams, etc. mais le voile islamique.
La laïcité est une remède au dogme, vraiment? Comme j’aimerais que ce soit si simple. Mais soyons sérieux, l’interdiction des signes religieux ne mettra fin ni au dogmatisme ni au prosélytisme. Ce n’est que de la poudre aux yeux et de l’opportunisme politique.
On donne à la laïcité des vertus magiques qu’elle n’a pas, comme on le fait pour n’importe quel autre dogme.
Pour ma part, je me suis résigné depuis longtemps à vivre dans un monde majoritairement peuplé d’êtres qui, tel le juge Blanchard, souffrent d’un délire cognitif incurable.
La bêtise et la mauvaise foi de ce jugement ne sont-elles pas le signe que ce juge veut plaire à tout prix à ses petits amis libéraux qui l’ont nommé ?
Comment peut-il écarter tous les arguments les plus solides contre son idéologie et inventer des sophismes bancals en sa faveur ?
La bête en nous identifie l’âme dans et par l’appareil « coeur-poumon ». Il s’agit de la respiration au sens large, le mécanisme nécessaire à toute cellule. Voilà ! L’idée de l’âme, c’est d’inspiration inconsciente et donc, c’est de la profonde bêêêêêêtise.
À la Liberté (nécessitant la Laïcité), sans djeu ni djable ! 😃