Ce qu’Andrew Scheer emprunte à Donald Trump

Énonçons d’abord une absolue certitude, Andrew Scheer n’est pas Donald Trump. En fait, personne n’est Donald Trump sauf, bien sûr, Donald Trump, ce qui est une très bonne chose.

Mais moi qui suis de très près l’actualité américaine depuis des années, je ne peux m’empêcher de voir comment, sous les conservateurs de Stephen Harper et maintenant d’Andrew Scheer, plusieurs des traits les plus détestables du Parti Républicain américain se sont installés dans notre paysage politique. Certains ont surgi avec plus d’ampleur même au cours de la présente campagne électorale.


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La différence entre les conservateurs d’avant, ceux de Joe Clark et de Brian Mulroney, par rapport aux conservateurs d’après, ceux de Harper et Scheer, est illustrée par cette phrase: Interrogé par un journaliste qui lui demandait s’il était conservateur, Brian Mulroney a répondu : « progressiste-conservateur ». C’était en  effet le nom de son parti avant qu’il ne fusionne avec le plus à droite Reform Party dont sont issus Stephen Harper et Andrew Scheer.

Lorsqu’il était « progressiste conservateur », le parti était principalement préoccupé par le conservatisme économique et fiscal. Il contenait une aile socialement conservatrice, froide face à l’avortement et au mariage gai par exemple, mais à peine plus  forte que celle qui existait toujours à ces sujets au sein du parti libéral. Bref, le parti progressiste conservateur était plus lent à s’ajuster aux réalités modernes, mais ne s’y opposait pas de front.

Le Reform party, oui. Et c’est parce qu’il jugeait Brian Mulroney trop mou sur ces questions, et trop déconnecté des intérêts des l’Ouest canadien,  que le Reform de Harper et Scheer a d’abord combattu le parti conservateur, puis l’a pour ainsi dire avalé.

L’impact des groupes pro-vie

Le phénomène est net aux États-Unis. Alors qu’une majorité d’Américains ne veulent pas remettre en cause le droit à l’avortement (60%), un groupe de militants, souvent religieux, très actif au sein du Parti Républicain fait en sorte que ce sujet s’impose à tous les candidats du parti, qu’ils le veuillent ou non.

Même chose au Canada, avec l’irruption du fort lobby anti-avortement au sein du parti conservateur ces dernières années. Le principal lobby pro-vie estime avoir joué un rôle important, en vendant des cartes de membre du Parti conservateur à ses propres partisans, dans l’élection des chefs conservateurs pro-vie Doug Ford en Ontario et Jason Kenney en Alberta. Ils ont aussi beaucoup pesé dans élection  d’Andrew Scheer à la chefferie.

L’an dernier, lors du congrès du Parti conservateur à Halifax, il s’en est fallu de peu pour qu’ils renversent la politique officielle du parti de ne pas rouvrir ce débat. Il ne leur manquait que sept délégués pour y arriver.

Le lobby estime que, cette année, 70 des candidats conservateurs sont maintenant ouvertement pro-vie et il a travaillé très fort, dans les circonscriptions, pour faire triompher les candidats de leur choix dans les investitures conservatrices.

Andrew Scheer a beau affirmer que rien ne changera à ce sujet sous sa gouverne, s’il devient premier ministre, la montée des forces pro-vie au sein de son propre parti pourrait le mettre au pied du mur.

Une heure d’analyse dans vos écouteurs !

La force du lobby des armes

On peut faire le même parallèle au sujet des armes à feu. Aux États-Unis, des majorités écrasantes réclament un plus grand contrôle de ces armes et l’interdiction des armes d’assaut. Mais le lobby pro-armes détient un tel contrôle sur les élus Républicains, et certains démocrates, que rien ne bouge.

Au Canada, 60% des électeurs sont pour  l’interdiction de posséder une arme de poing, et 75% sont favorables à l’interdiction de posséder des armes d’assaut.

Pourtant, le lobby pro-armes au sein du Parti conservateur fait en sorte que le parti s’engage à libéraliser le port d’armes au Canada, y compris le fusil d’assaut AR-15. Le lobby des armes ne s’en cache pas, le site thegunblog.ca écrit en toutes lettres : « Si Scheer n’est pas premier ministre, la communauté des propriétaires d’armes et des chasseurs est foutu.  Les Conservateurs sont les seuls à appuyer la possession d’armes et à avoir une chance de défaire les libéraux.»

Je ne dis rien sur le pétrole, tant la ressemblance entre les républicains et les conservateurs canadiens est nette. Mais au-delà du fond des choses, où Républicains et Conservateurs réussissent à imposer à la nation des politiques contraires à ce que souhaitent des majorités, il y a la manière.

Les conservateurs et les « faits alternatifs »

Le Canada est connu, et parfois moqué, pour être le lieu de la civilité, de la politesse. Mais les conservateurs sous Harper et Scheer ont introduit dans le débat politique canadien des éléments de brutalité qui sont apparus chez les républicains américains à partir des années 1980.

J’ai déjà parlé des publicités clairement mensongères des conservateurs sur l’impact de la taxe du carbone. Il n’était généralement pas admis, auparavant, de dire dans des publicités électorales le contraire de la vérité. Les conservateurs ont franchi ce pas, sous Harper et sous Scheer.

Scheer est allé encore plus loin en adoptant l’invention trumpiste de faits alternatifs. C’est-à-dire d’affirmer sans inhibition le contraire de ce que tout le monde a vu, pour faire circuler cette autre version des faits dans le débat public.  Trump est devenu le champion de la chose lorsqu’il a affirmé qu’il y avait plus de gens à son assermentation que pour Barak Obama. Tout démontre le contraire, mais Trump persiste dans la diffusion de cette version alternative de la réalité.

Les sondages démontrent clairement qu’Andrew Scheer a fait une piètre performance au premier débat en français. C’était immédiatement observable. Mais son organisation a publié sur les réseaux une image avec les mots « Andrew Scheer fait un coup de circuit et gagne le débat de TVA». Un fait alternatif.

Récidive après le second débat en français, que Scheer n’a ni gagné ni perdu. Une pub sur les réseaux affirmant : « Scheer gagne le débat ». Un autre fait alternatif.

Il est aussi étonnant d’avoir entendu Scheer, lors du débat en anglais, traiter Justin Trudeau de « phony » et de ‘ »fraud ». La politique n’est pas un jardin de roses, mais on n’aurait pas vu Joe Clark ou Brian Mulroney utiliser des termes aussi personnellement durs envers un adversaire, de surcroît un premier ministre, en personne dans un débat. Ils auraient pensé que ce n’était pas digne d’eux ou de la fonction même de premier ministre.

Mais la trumpérisation de la politique conservatrice canadienne charrie avec elle la disparition du respect élémentaire que les partis et leurs chefs doivent avoir entre eux, au-delà de leurs divergences.

Le pire est que, sous ses airs de bon gars, Andrew Scheer semble être personnellement habité par cette hargne. Il arrive souvent que des chefs politiques se retrouvent côte-à-côte lors d’événements publics. La règle est qu’ils se saluent et échangent des banalités.

En août dernier, il était au même événement que Trudeau lors de la fête des Acadiens. Trudeau, poli, s’est approché de Scheer pour lui serrer la main. Mais Scheer lui a lancé : « vous devez arrêter de mentir aux Canadiens ». L’échange fut enregistré, et les conservateurs, fiers de leur coup, l’ont fait circuler vidéo sur leurs réseaux.

Le message est clair : pas de quartier pour l’adversaire, pas de civilité, pas de politesse, il faut frapper toujours et partout.

Voilà pourquoi je m’ennuie de Brian Mulroney et de Joe Clark.


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3 avis sur « Ce qu’Andrew Scheer emprunte à Donald Trump »

  1. Prime abord. On peut avoir une autre interprétation et la liberté d’expression doit cesser d’être réduite sur internet autrement celui ci finira comme la télévision qui est rejetée par de nombreux jeunes pour raisons politiques et économiques.

    La gauche libéralo-sociale et souverainiste (ce n’est pas ici QS) qui existe malgré les apparences ne devrais pas tant s’imaginer que sa lecture de la réalité serait la lecture normative impeccable à percevoir. La gauche libéralo-sociale souverainiste du PQ de l’après Lucien Bouchard qui lui y avait mis une touche conservatrice-progressiste ou progressiste-conservatrice à la Mulroney.

    Le Bloc de Y.F.Blanchet est centre-gauche en critiquant Scheer il a rejoint le Québec majoritaire tout en se coupant de la Beauce, de Lévis et des Appalaches toujours dommage tout en obtenant deux gains dans Québec-la capitale nationale. Ce qui reste crédible parce que le Bloc a gardé en mémoire dans la campagne que le PLC restait son adversaire no1 non le PC.

    Quitte à arrondir les angles parfois dans ce long message, je dis ceci.

    Sans vouer un culte à Trump et Scheer qui sont différents d’ailleurs, ils sont surtout ceux qui représentent en commun le capitalisme anglophone national dans l’aspect plus conservateur. L’un de ces deux hommes est dans l’empire, l’autre dans le Canada de sa majesté, le chef Scheer lui n’a pas été un conquérant en fait et verrais plutôt mais sans hystérie Harper comme plus proche de Trump.

    Sur la civilisation occidentale rapidement et son parcours entre discipline, maîtrise de soi et part d’agressivité politique et en économie, la théorie et pratique.

    Les travaux des parlements ne seront jamais diplomatiques à 100% parce que le parlement a été réinventé en partie pour noyer le conflit humain (guerre civile) violent par l’ordre parlementaire et ses règles dont des élections pour permettre l’alternance des politiques. Le présent du présent perpétuel actuel est refus de l’histoire.

    On voit ça chez Hobbes, Locke, Rousseau, Spinoza et Bodin entre laïcité et souveraineté des peuples et organisation du libéralisme classique. L’économie chez Adam Smith étant une sorte de providence profane permettant que chacun par son entreprise ou son travail permette l’addition du travail de tous les producteurs pour engendrer la prospérité. C’est la théorie philosophique et ses PÈRES qui suivent les guerres de religions entre catholiques et protestants en Angleterre et en France, notre pré-modernité.

    Dans le libéralisme classique, il y a pacification et retour de la démocratie tout en étant contrarié par une économie capitaliste industrielle qui a brutalisé les sociétés nouvelles par le démarrage et après par l’inégalité et le retard social entre le Sud et le Nord du monde. La théorie a une part de réalité et d’irréalité comme cette vision religieuse chez Smith du marché pur avant les néolibéraux comme Hayek. Idéologies du messianisme et d’une sorte de théocratie profane.

    Actuellement, le libéralisme entre Macron, Merkel et Trudeau lui comme doctrinaire du multiculturalisme constitutionnel ajoutent le désordre au monde qui de fait fonctionne déjà toujours avec une part de chaos dans le sens d’injustices. La gauche dite progressiste a basculée depuis 10-20 ans dans l’irrationnel dont les démocrates U.S de plus en plus par ces universités américaines qui ont rendus la désobéissance civile de H.D.Thoreau ou de M.L.King incendiaire et belliqueuse dans un antiracisme dévoyé.

    En 1995 au Québec, la repentance et mea culpa publique a duré longtemps à cause du ressentiment de Parizeau (qui était plus souverainiste que curé) le soir du référendum faisant du PQ un parti neutralisé ce qu’à rappelé Mathieu Bock. Seul le Bloc de Duceppe de ces années là a fait vivre le PQ de façon secondaire des Boisclair et Marois.

    Les consensus sur ceci ou cela de la presse peuvent être contestés. Le Canada et le Québec croient être dans les forêts du monde, ils en font partie et le noir et blanc sur ceci ou tel sujet me semble absurde.

    Sur les États-Unis.

    En fait, l’impérialisme américain existe avec les républicains et avec les démocrates. Trump fait fonctionner les sanctions pour appauvrir des pays et ses populations directement comme Bill Clinton l’a fait et sur des enfants en Irak dans l’après Guerre du Golfe de 1990 de Bush père.

    Avant l’invasion de l’Irak en 2003 où Bush junior a organisé le chaos dans toute la région et suscité directement et indirectement 500,000 morts et préparant d’autre agressions néoconservatrices comme celles d’Hillary Clinton en Libye ayant décidé Obama à la faire.

    Néoconservateurs présents chez les républicains et les démocrates. Obama a décidé de ne pas lancer à la limite les É.U contre la Syrie et cela a été un décision sage malgré que des opérations secrètes se soient tenus tout de même en Syrie en rappelant que des djihadistes ont remplacés les opposants à Bachar El Assad pendant la guerre.

    Le dollar américain continue à maintenir l’hégémonie du pays en étendant le droit américain à la planète même si la Chine a atténué la force américaine. Trump par son chantage à l’Iran n’est pas en rupture totale avec le système U.S.

    La question de la gouvernance mondiale est aussi en question et plusieurs ne veulent pas penser qu’en termes de puissances d’États entre Russie et É.U.
    Et cette fixation sur Trump plusieurs n’entrent pas là dedans d’autant que l’unanimité des médias sur ce sujet attaque la liberté de parole.

  2. Excellent article. Mais il y a une expression que vous utilisez qui me semble incorrecte. « Fait alternatif » représente dans votre texte une fausseté, un mensonge tel qu’exprimé par Andrew Scheer… Mais si c’est faux, alors ce n’est pas un fait, car un fait représente la réalité, la vérité.

  3. Traiter le petit Trudeau de fraud et phoney n’était peut-être pas gentil mais terriblement vrai. Il adorait son père qui détestait les Québécois… Voter pour ça me dépasse…
    Quant aux opinions pro-vie de Scheer, ça ne me paraît pas trop inquiétant. Harper avait les mêmes vues… Et puis, nous avons un sénat… Et une opinion publique… Et des gouvernements provinciaux…

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