L’excellente semaine du Parti québécois

Avouez : vous pensez que je blague, avec ce titre. N’avez-vous pas lu, plus tôt cette semaine, la chronique « L’ambulance » d’un estimé collègue qui s’interrogeait sur le décès prochain du parti de René Lévesque ? Vous aviez lu les avis, aussi glauques, dans d’autres gazettes, le mois dernier ? Et les textes de l’année d’avant ? Et de l’autre, et de l’autre, et de l’autre ? Le fait est que depuis 50 ans l’annonce du trépas prochain du PQ est consubstantielle à son existence.

(Une version légèrement écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)

Mais, direz-vous, le PQ a perdu un député cette semaine. C’est vrai. C’est terrible. Pauline Marois en avait perdu quatre en 2011. La disparition du PQ, lisait-on alors, était imminente. Devenue première ministre l’année suivante, Pauline aurait pu emballer les épluchures des excellents repas qu’elle sait préparer dans l’abondant papier journal des articles qui avaient annoncé son décès.

La question n’est pas de savoir si la popularité électorale du PQ est en déclin. Cette tendance est si lourde que, si le mot existait, on dirait qu’elle est lourdissime. Évidemment, c’est la faute à l’avant-dernier chef, que la charité m’empêche de nommer mais dont les initiales sont « J-.F.L. ». Les turlupinades de cet olibrius mises à part, la descente s’explique par la réduction de la proportion d’électeurs qui font de l’indépendance leur priorité. Ils étaient 40% dans cet état d’esprit en 1994. Ils ne sont plus que 17%. (L’appui à la souveraineté est à 35%, car on y ajoute les souverainistes pour qui la question est peu importante et une part des indécis qui, par définition, sont indécis.)

Cliquez pour commander, versions numériques et AudioLivres disponibles.

Cet état d’esprit peut changer. Le pendule n’a-t-il pas pour destin de revenir ? Surtout, ce déclin structurel n’a pas empêché le Bloc québécois de renaître de ses cendres en 2019. L’alors cheffe du Bloc (appelons-la « M.O. ») avait perdu non 1/7 de ses députés, mais 7/10. Ce parti est pourtant redevenu une des deux principales forces politiques fédérales au Québec. Pourquoi ? Il avait trouvé en 2019, en plus de l’indépendance, un enjeu porteur. Il était le seul à défendre sans inhibition la loi québécoise sur la laïcité, très populaire. C’était la ligne de fracture principale entre le Bloc, d’une part, les autres partis, d’autre part.

Voilà en quoi la semaine fut excellente pour le Parti québécois : une ligne de fracture similaire est apparue. Il faut au PQ et à son chef un enjeu qui préoccupe grandement les Québécois et dont il est le seul porteur. C’est encore mieux si l’enjeu colle à son identité propre. Cet enjeu, c’est la langue. Ou plutôt, la crédibilité linguistique face au déclin.

La CAQ avait rendu public un sondage Léger démontrant que les Québécois étaient favorables aux mesures de son projet de loi sur le français. Le PQ a publié cette semaine son propre sondage Léger posant une question inopinément oubliée par la CAQ : les mesures du projet sont-elles suffisantes pour enrayer le déclin du français ? La réponse est nette : seulement un Québécois sur quatre fait confiance au projet caquiste pour renverser la vapeur. C’est pire chez les jeunes et les femmes : 1/5 seulement.

Cela dit, les Québécois sont-ils favorables aux propositions plus ambitieuses avancées par le PQ, mais que la CAQ réprouve ? De façon complétement nouvelle et étonnante, la proportion de francophones désormais favorables à étendre la loi 101 au Cégep frôle les 70%.  De même, on avait toujours su les jeunes réticents à s’enlever le choix linguistique collégial. Désormais chez les 18-35 ans, 51% favorisent la mesure, 30 % seulement y sont opposés.

L’autre proposition phare du PQ pour renverser la tendance est l’obligation faite aux futurs immigrants de démontrer une connaissance du français avant de venir au Québec. Pas moins de 75 000 personnes ont donné leur opinion sur cette question à la boussole électorale de Radio-Canada il y a deux ans. Les deux-tiers des francophones sont pour. Donnée intéressante : 53% des allophones aussi.

Tout l’automne, une commission parlementaire entendra témoins et experts puis étudiera le projet. Le PLQ et QS proposeront des modifications à la marge. Seul le Parti québécois mettra en cause de façon frontale l’inefficacité du projet. Sur cet enjeu, la CAQ et le PQ seront pour ainsi dire au centre du jeu, se disputant la rondelle. Mais seul le PQ sera au diapason de la majorité de l’opinion québécoise, comme l’était le Bloc au sujet de la laïcité.

Reste à savoir si la question linguistique sera un enjeu important de la campagne électorale de l’an prochain. François Legault a bien sur l’option d’intégrer les positions péquistes dans sa loi pour neutraliser son adversaire. Sinon, tout l’environnement qu’il a lui-même créé depuis deux ans sur la langue viendra donner de l’oxygène à son critique péquiste. Car désormais, 78% des francophones affirment que leur langue est en déclin. Un chiffre gigantesque.

Ce n’est pas tout. La CAQ a gagné en 2018 parce que les électeurs (et beaucoup de péquistes) la jugeaient la mieux placée pour les libérer des libéraux. Le second enjeu le plus porteur était celui de la réduction de l’immigration. Plus de 50% des Québécois la souhaitait. La CAQ semblait la plus déterminée à y arriver.

En 2022, la CAQ étant revenue aux seuils libéraux de 50 à 55 000 immigrés par an – un de plus élevés par habitant au monde – sera accusée de bris de promesse électorale sur ce point. Paul Saint-Pierre Plamondon s’est engagé, pour des raisons linguistiques, à revenir aux seuils pré-libéraux, de 30 à 35 000 par an. Il sera donc le seul, en 2022, à être à ce sujet au diapason de la majorité de l’opinion. Combien de déçus de la CAQ, qui sont pour l’essentiel d’anciens électeurs péquistes, feront le voyage de retour ? De la réponse à cette question dépend l’ampleur du rebond péquiste.


Cliquez pour vous renseigner ou pour vous abonner.

Pensionnats: après la douleur et la honte, quoi?

On leur doit 60 ans. Six décennies pendant lesquelles le système des pensionnats au Québec a non seulement contribué à la tentative pancanadienne de génocide culturel des Autochtones, mais a aussi miné la capacité des Premières Nations à établir leur propre tradition d’éducation. On a peine à mesurer l’ampleur de la cicatrice, qui court depuis l’établissement du premier pensionnat au Québec, la Résidence Couture, à la baie James, en 1931, jusqu’à la fermeture du dernier, à Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en 1991. Toutes les initiatives de découverte de la vérité et de réparation des victimes directes et indirectes sont nécessaires et bienvenues.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Mais la douleur et la honte ne suffisent pas. Se tournant vers l’avenir, cette génération-ci de Québécois doit se demander, non comment expier des péchés commis hier au nom d’idéologies racistes, coloniales et religieuses que nous réprouvons, mais comment être à la hauteur de notre propre exigence d’ériger aujourd’hui une société où chacun a un réel accès à l’égalité et à l’épanouissement.

Cliquez pour commander. Versions numériques et AudioLivres disponibles.

« Une des séquelles les plus profondes et dévastatrices des pensionnats a été leur impact sur la réussite scolaire et économique des Autochtones », peut-on lire dans le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation. Car non seulement les pensionnats ont-ils déraciné et maltraité des dizaines de milliers de jeunes Autochtones, ils ont aussi lamentablement échoué à les éduquer. À génération comparable, les Autochtones ayant suivi des études à l’extérieur du réseau des pensionnats ont atteint des niveaux d’études de loin supérieurs à celui des pensionnés.

Tous les villages et les quartiers du Québec savent l’importance que revêt l’école dans la vie communautaire. À preuve, les mobilisations pour sauver les dernières écoles de village. Lieu d’apprentissage et de socialisation, oui, mais lieu de rencontre et d’échanges entre parents et avec le corps enseignant. Lieu des fêtes, des spectacles, des graduations. De décennie en décennie, l’équipement comme la connaissance s’accumulent et se transmettent. Avoir privé les nations autochtones de la capacité de construire ce patrimoine collectif, en extrayant l’éducation du cœur de leur vie, a laissé un vide que les investissements plus récents prendront des décennies à combler.

Combler l’écart ne suffit pas

Parmi ses « appels à l’action » de 2015, la Commission a sommé Ottawa de « combler l’écart » ainsi créé entre les Autochtones et les autres citoyens. Elle constatait que, même au moment de produire son rapport il y a six ans, les sommes disponibles par élève autochtone étaient nettement inférieures à celles accordées aux autres élèves. L’écart, donc, continuait à se creuser.

Interpellé à sept reprises depuis 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a, chaque fois, indiqué que les services en éducation fournis par Ottawa aux jeunes Autochtones restent inférieurs à la moyenne canadienne. Les trois derniers budgets fédéraux ont certes été plus généreux. Mais ils visent officiellement à assurer à ces enfants un financement de base « comparable » à celui des autres Canadiens.

Ça ne suffit pas. En plus des sommes et de l’action fédérale en cours, j’appelle les Québécois et leur gouvernement à poser un geste supplémentaire fort, à la hauteur de la tâche. Pendant 60 ans, l’éducation autochtone a été minée, sabotée. Pendant les 60 ans à venir, elle doit être enrichie, propulsée. Je propose que pendant les 60 ans à venir, la somme moyenne allouée à chaque enfant autochtone du Québec pour son éducation soit le double de la moyenne québécoise. Petite enfance, garderies, du primaire au doctorat, du mentorat aux écoles professionnelles, dans le cadre d’ententes avec les Premières Nations et gérées par elles, l’investissement québécois en éducation autochtone doit être l’équivalent de l’élan que nous nous sommes donné en éducation pendant notre Révolution tranquille — qui aurait dû être aussi la leur.

Je ne dis pas qu’il faudra 60 ans pour combler l’écart. En fait, j’espère que ce sera beaucoup plus court. Tant mieux si, une fois l’écart comblé, il reste à ce réinvestissement une ou deux décennies pour que la diplomation autochtone dépasse la moyenne. Ce serait une belle revanche sur l’histoire.

L’Australie, aux prises avec le même passé honteux que le nôtre, avait fixé en 2008 des objectifs de rattrapage partiel, en éducation (aussi en santé et en justice), sur 10 ans. Des rapports annuels ont été produits pour mesurer les progrès, et parfois des reculs. La lenteur à atteindre les objectifs a conduit le gouvernement australien à réévaluer et à renforcer son aide, l’été dernier, pour remettre ce travail sur les rails. Rien de tel n’existe au Canada ou au Québec. J’estime que l’œuvre collective de réinvestissement dans l’avenir des nations autochtones du Québec suppose un travail similaire, de fixation en commun d’objectifs exigeants et stimulants d’augmentation générale de la qualité de vie et de l’accès à l’éducation de chaque jeune Autochtone vivant au Québec.

Nous avons raison d’avoir honte de certains aspects de notre passé. Notre meilleure réponse est de nous donner les moyens d’être fiers de notre avenir.


Cliquer pour vous renseigner ou pour vous abonner.

La constitution maudite

Il avait mis une queue-de-pie. C’est un habit de cérémonie un peu étrange, court à l’avant, long à l’arrière. Il voulait montrer qu’il s’agissait d’un jour comme aucun autre. Elle avait mis un manteau d’un bleu très sobre et un chapeau de même couleur, comme pour indiquer qu’il ne fallait quand même pas exagérer. Lui, c’était Pierre Elliott Trudeau. Elle, Elizabeth II. Ils étaient sur une scène aménagée tout exprès, devant l’imposant édifice du Parlement, le 17 avril 1982. Au moment où Trudeau déclara qu’en ce jour, son pays avait acquis « sa pleine souveraineté », le vent se leva. Au moment où lui et elle apposèrent leurs signatures sur le document, une pluie froide vint assombrir l’humeur de la foule assemblée.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Nous n’étions pas à la première scène des Rois maudits où, au moment d’être brûlé vif, le grand maître des Templiers déclare le roi de France maudit pour 13 générations. Mais la météo, pourtant de compétence fédérale, semblait indiquer à coups de vent, d’eau et de tonnerre qu’il se passait à Ottawa quelque chose contre nature. Qu’on entrait dans une zone de tempête. Au-dessus de l’Assemblée nationale, dans la Vieille Capitale, le drapeau du Québec avait été mis en berne. Comme si quelqu’un ou quelque chose d’important était passé de vie à trépas.

C’était le cas. On avait toujours fait croire aux Québécois qu’ils avaient consenti à l’arrangement politique appelé le Canada. Vrai, ils avaient été conquis par les armes, puis réprimés, leurs leaders pendus, puis forcés de se fondre avec la colonie voisine, mais, bon, pas pires amis pour ça. La constitution d’origine était présentée, mais seulement ici, comme un pacte entre deux nations. La signature de 1982 dissipait ce malentendu. Le Canada pouvait se redéfinir sans et contre la nation québécoise. La Cour suprême avait consigné l’état du rapport de force : ce que faisait Ottawa était contraire aux conventions, aux précédents, à la « moralité constitutionnelle ». Mais c’était légal.

(Le texte se poursuite après la pub.)

Cliquez pour commander. Versions numériques et AudioLivres disponibles.

Était-ce démocratique ? Le refus de Trudeau et des provinces anglophones de soumettre le nouveau texte fondateur du pays à l’assentiment populaire par voie de référendum, malgré la demande québécoise et la pratique courante occidentale contemporaine en la matière, a pour ainsi dire installé le texte sur des sables mouvants. Mais les électeurs finissent toujours par se rendre aux urnes. Aux élections fédérales suivantes, en 1984, le parti de Pierre Trudeau perdit 57 de ses 74 députés au Québec et la moitié de ses électeurs. La malédiction avait entamé son œuvre. Au référendum tenu en 1992 pour faire approuver une version revue et améliorée de la Constitution, 57 % des Québécois firent savoir que, même avec ces retouches, c’était Non. Malédiction, encore. Au référendum tenu en 1995 pour extraire une fois pour toutes le Québec de ce carcan immoral, le résultat fut si serré, et entaché d’irrégularités avérées du côté du Non, qu’on pourrait ici encore parler d’une victoire légale, mais immorale, du camp fédéraliste. Malédiction, toujours.

À bientôt 40 ans du début de ce cycle maudit, l’immoralité et la légalité semblent changer de camp. Car s’il est vrai que le Québec peut ouvrir le petit tiroir qui lui est réservé dans la Constitution canadienne — chaque province a ce petit tiroir — et y inscrire que le Québec est une nation dont la langue officielle et commune est le français, à quoi donc ont rimé 40 ans de refus canadien de reconnaître au Québec quelque statut distinct que ce soit ?

En 1992, les Canadiens hors Québec, généralement favorables à la constitution de Trudeau, s’y sont mis à 57 % pour rejeter, eux, la retouche au texte qui reconnaissait symboliquement le « caractère distinct » du Québec. En 2006, quand la Chambre des communes a voté une motion affirmant que « les Québécois forment une nation dans un Canada uni », 77 % d’entre eux ont dit aux sondeurs qu’ils s’opposaient mordicus à ce que cela soit inscrit dans la Constitution. Il ne fait aujourd’hui aucun doute que si la « clause nation » devait être soumise à l’approbation des provinces ou, pire, à un référendum, elle ne passerait jamais la rampe.

Un sondage Léger vient d’ailleurs de confirmer la chose, en gros et en détails:

Les paris sont ouverts, mais on pourrait se retrouver dans une situation où la Cour suprême atteste que la modification faite par le Québec est « légale », mais contraire aux conventions et à la « moralité constitutionnelle ». L’important, ajoutera la cour, est que cette affirmation est purement déclaratoire et ne modifie pas l’ordre juridique. Affirmer, dans son petit tiroir, le contraire de ce qui est écrit sur la commode elle-même est un peu comme si un conjoint modifiait sa partie du contrat de mariage pour y indiquer qu’il préfère les rousses, alors que sa femme est blonde. Ça ne change rien aux droits de chacun, mais cela jette un froid sur la relation.

Cela dit, à force d’être immoralement légale, cette immoralité même devient un précédent et se transforme en convention. L’Alberta pourra mettre dans son tiroir son droit inaliénable à extraire jusqu’à son dernier baril de pétrole bitumineux. (Le chroniqueur Rex Murphy propose plutôt que l’Alberta statue que « toute province mettant son veto à un pipeline allant de Calgary à la Nouvelle-Écosse soit privée de péréquation ».) La Colombie-Britannique, où le français est la cinquième langue minoritaire, pourra déclarer que l’anglais est sa langue officielle et commune. Doug Ford pourrait mettre dans le tiroir ontarien que la bière ne doit jamais être vendue dans sa province à plus de 1 dollar. Ce serait choquant, sauf pour la bière, mais nullement exécutoire à l’extérieur des frontières provinciales.

Peut-être ne saisit-on que maintenant la réelle portée de la malédiction trudeauiste de 1982. Elle ne se limitait pas à l’imposition d’une volonté politiquement immorale. Elle entamait l’insertion de l’immoralité dans le processus lui-même. Loin du « Crois ou meurs » des combats constitutionnels d’antan, on est dans le « Chacun fait ce qui lui plaît » et le « Finalement, on s’en fout ». En a-t-on pour 13 générations, de cette maudite constitution ? Pas sûr. Plus ambitieux, Pierre Trudeau avait à l’époque affirmé qu’on en avait pour 1000 ans.


Cliquez pour vous renseigner ou vous abonner.

Mémo à Stephen King: Lisez Haute Démolition !

J’ai un message à faire livrer à Stephen King, si vous le croisez lors de votre prochaine visite dans le Maine. Pour la dernière fin de semaine, je m’étais apporté deux bouquins de lecture non-politique, pour me changer les idées. J’ai commencé par celui qui portait sur sa couverture la citation suivante du roi de l’horreur: « Insanely readable », que je traduirais par « follement lisible ». Il s’agissait du livre The Plot, de Jean Hanff Korelitz. Une variation sur le problème du plagiait dans le monde de la fiction. Le livre figure sur la liste des Bestsellers du New York Times, alors on est en voiture.

Cher Stephen, ce n’est pas « follement lisible ». C’est bon. Mais je suppose que, parce que je m’attendais à ce que ce soit follement lisible, je suis resté sur ma faim. Sur cette question des auteurs et des rivalités, j’ai d’ailleurs de loin préféré L’information, de Martin Amis, que je vous recommande vivement.

Mais, bon, ce n’était pas fou, The Plot, mais agréable. Je me suis alors tourné vers le second bouquin apporté pour me changer les idées: Haute Démolition, du québécois Jean-Philippe Baril-Guérard (ci-après JPBG). D’où mon message à Stephen King: Vous voulez lire quelque chose de vraiment, indubitablement follement lisible, apprenez le français et jetez vous sur ce livre.

J’avais déjà goûté à du JPBG lors de la publication de son roman Royal, en 2016. Il s’agit de la course aux stages lucratifs parmi les étudiants en droit de l’Université de Montréal. La compétition, le travail, les drogues prises pour améliorer sa performance, tout nous surprend et nous happe dans le récit, mais surtout la réflexion sous-jacente sur le sens (ou non-sens) de cette course matérialiste où on doit à la fois se surpasser et se déshumaniser. J’avais été frappé d’abord par la connaissance du sujet que semblait posséder l’auteur. Je suis moi-même un ancien étudiant en droit mais n’ai jamais été engagé dans ce genre de course (ce n’était pour moi qu’un détour vers le journalisme) alors je ne peux attester de la véracité du propos. En fiction, on cherche de la vraisemblance, et elle bondit de chaque page. (Information ludique: j’ai donné ma copie à mon collègue Alexandre Cloutier, également juriste. Il m’a dit, l’air complètement surpris: « Tu lis ça, toi ? » J’adore surprendre !)

J’ai aussi lu Manuel de la vie sauvage, de JPBG, qui porte sur une startup technologique, ou plus fondamentalement sur l’apprentissage de la route vers le succès, des échecs qui jonchent ce chemin et s’accumulent sous forme d’expérience utile, sur les sacrifices qu’on s’impose et qu’on impose aux autres. Une pièce de théâtre et une série télé seront tirées de ce bouquin qui est, à mon avis, divertissant, mais le moins achevé des trois que j’ai lus.

En blague, j’ai signifié en privé à l’auteur que je pourrais être dur avec lui car 1) il dit du mal de ma ville natale, Thetford Mines et 2) il dit du mal des péquistes. Ben, pas vraiment du mal mais, justement, il les fait passer pour des has-been, l’air de ne pas y toucher. Comme, en présentant un personnage: bien que péquiste, il était assez compétent. Voyez, l’absence d’explication est pire que l’insulte.

Avis aux futurs sociologues

La vérité est que les sociologues du prochain siècle qui voudront humer l’air du début du XXIe au Québec pourront se remplir les narines des livres de JPBG. La psychologie des personnages, le ton utilisé dans les interactions, la quantité de mots anglais dans les répliques, le degré précis de cynisme, la dose d’ambition, d’appât du gain, de rapports sexuels, d’alcool et de coke, de culture du corps (dans Royal), tout cela brosse un portrait décapé de la jeunesse québécoise du moment.

Haute démolition se déroule dans le monde des humoristes. C’est une toile de fond. Le vrai sujet est l’ambition, comme dans ses autres romans, la peine d’amour et la vengeance.

Le roman est écrit au Tu (comme Royal, mais davantage encore), un choix dont on pense au début qu’on se lassera mais qui fonctionne remarquablement bien. La narratrice s’adresse ainsi au personnage principal pour lui raconter, dès leur première soirée ensemble, tout ce qui va se produire ensuite. Cela donne au récit une immédiateté étonnante. C’est follement lisible.

On pourrait débattre des choix de dénouement, mais celui de l’auteur est parfaitement satisfaisant. Je suis convaincu que Stephen King sera d’accord avec moi.

On peut commander en ligne ici:
Haute Démolition (2021)
Manuel de la vie sauvage (2018)
Royal, (2016)
The Plot, de Jean Hanff Korelitz (2021)
L’information, de Martin Amis, (1995)


Cliquez pour vous renseigner/vous abonner.

Les francophones fantômes

Vous suivez comme moi la palpitante série « Le français en déclin, les chemins de l’irréversible ». Dans un épisode précédent, des chercheurs à lunettes avaient fait toute une découverte. À moins d’une soudaine poussée de natalité des francophones, seule la sélection d’immigrants connaissant tous le français au point d’entrée aurait un impact mesurable pour freiner la chute. Suspense/cliffhanger. Dans l’épisode suivant et malgré cette information cruciale, les premier et second rôles, Legault et
Jolin-Barrette, choisissaient de mener 200 combats accessoires, mais pas celui-là. L’intrigue se corse/the plot thickens.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Un retour en arrière/flash-back nous a rappelé qu’en 2010 étaient apparus les francophones fantômes. Le Vérificateur général en avait révélé l’existence grâce à un savant décodage des dossiers du ministère de l’Immigration. « Il est difficile de comprendre, avait-il dit d’un air dubitatif, pour quelle raison un candidat a obtenu 6 points sur 16 en français quand les notes du conseiller mentionnent que l’entrevue de sélection s’est déroulée essentiellement en anglais et que le candidat comprenait à peine le français. » Il avait trouvé pire : « Il est tout aussi difficile de justifier l’attribution de 16 points à un candidat qui a été sélectionné sur dossier, alors qu’il ne contenait aucune preuve de sa connaissance avancée du français. »

(Le texte continue après la pub.)

Cliquez pour commander. Versions numériques et AudioLivres disponibles.

Cela signifiait qu’un nombre inconnu d’immigrés avaient reçu sans raison le label de qualité « connaissance du français ». Le téléspectateur était plongé dans une réelle angoisse. Se pouvait-il que lorsque le gouvernement affirmait que la moitié des immigrés parlaient français, il mentait ? Complot ou incompétence ?

Une sub plot/sous-intrigue nous entraînait ensuite dans la vie des professionnels chargés de vérifier le caractère réel ou fantomatique du français des candidats. Des scènes étaient tirées d’une histoire vraie/true story relatée par un de ces forçats, Yves Archambault. On y voyait des candidats se livrer à un exercice de mémorisation des réponses à des questions prévisibles, trouvées en ligne. Malheur ! Si les questions étaient posées dans un ordre différent, les réponses n’avaient plus de sens !

« Des candidats iraniens ayant suivi un cours de base dans une ville d’Asie occidentale auraient payé le séjour de leur professeur de français dans la ville de leur entrevue, à quelques milliers de kilomètres de là. Ils se pointaient dans le hall d’entrée de l’hôtel où se déroulait l’entrevue, ou même devant la salle d’entrevue, afin de faire un dernier rappel des réponses présumément justes à leurs étudiants, que ceux-ci récitaient par cœur juste avant d’entrer dans la salle ! » La volonté, l’effort, l’investissement, même, étaient au rendez-vous. Pas la maîtrise du français.

Heureusement, sous les admonestations du Vérificateur général dans l’épisode déjà cité, le gouvernement avait imposé des tests standardisés de français. C’était sans compter sur l’imagination du scénariste/screenwriter. D’abord, pour mettre un peu d’humour/comic relief dans la série, il a fait écrire les questions par des Parigots. Du coup, les mecs et les meufs du reste du monde seraient largués par des colles sur des élèves qui vont en CM1 et font du shopping avant d’entrer à la fac. (Merci à mon estimée collègue Rima Elkouri pour cette trouvaille.)

Les trous dans le processus

Moins comiques étaient les trous mis dans le processus. Avant 2016, il fallait avoir passé ces tests dans les 24 mois. Depuis, la date de péremption a sauté. Vous pouvez l’avoir passé il y a dix ans, avoir tout oublié de la langue de Molière depuis, on s’en tape ! Même des tests récents ne résistent pas à l’analyse. Un nouvel épisode sur les conseillers en immigration nous a montré que, explique Archambault, « tant à l’étranger qu’à Montréal, les performances en français des candidats en entrevue étaient souvent très en deçà des résultats de leurs tests ». Une candidate ayant atteint un niveau supérieur dans son test a ensuite fait trois mois de français en Suisse et en est sortie avec un résultat… inférieur.

Puis il y a lavoie rapide/fast-track : le Programme de l’expérience québécoise, devenu notre principale porte d’entrée. On vient pour y travailler quelques années, puis on s’installe à demeure. Parfait. Mais, le français ? En mars 2017 — et c’est un épisode spécial —, l’odeur de fraude linguistique était telle que le ministère a vérifié 585 dossiers. Officiellement, 54 % étaient frauduleux.

Au début de cette saison, les Québécois se sont donné un gouvernement nationaliste. Je fais maintenant tomber le quatrième mur/fourth wall pour vous informer que j’ai demandé à connaître le taux récent de succès ou d’échec des tests de connaissance linguistique. Réponse : ces données ne sont pas disponibles. Au moins, peut-on compter sur le gouvernement de la CAQ pour se donner un objectif ambitieux et augmenter, d’ici quelques années, la proportion de parlant français ? Les libéraux avaient l’habitude d’annoncer des cibles et de ne pas les atteindre. Dans sa mise à jour en octobre, la CAQ ne s’est donné aucune ambition à ce sujet. Peut-on parler de lucidité dans la démission ?

Rebondissement/plot twist : une ancienne cadre du ministère, Anne-Michèle Meggs, a ajouté une couche de tension dramatique dans le dernier épisode. Aucun des chiffres rassurants, même ceux qui sont trafiqués, n’a d’importance. Oubliez les seuils d’immigration à 40, 50 ou 60 000 par an. Pour 2019 seulement, 85 000 personnes étaient détentrices d’un permis d’étude au Québec. La moitié avouait ne pas connaître le français. Parmi les autres, combien sont des francophones fantômes ? Nous n’en avons pas la moindre idée.

Bref, la saga du déclin nous réserve de beaux rebondissements. Dans une ou deux saisons, il sera opportun de correctement représenter la diversité linguistique, y compris quelques francophones fantômes. Le tout ne pourra cependant être intelligible qu’en lisant les sous-titres/subtitles.


Cliquer pour vous renseigner ou vous abonner.