La (détestable) méthode Mulcair

« Avant l’arrivée de Tom Mulcair à sa tête, le NPD était à la pointe de la bataille pour l’égalité des sexes. Élu chef en 2012, Mulcair a enlisé son parti dans un bourbier d’intolérance patriarcal. Prenant fait et cause pour les religions qui traitent les femmes comme des citoyennes de seconde zone, il a défendu comme admirable l’imposition du voile intégral – symbole ultime de l’oppression. C’est un lamentable retour à la rhétorique patriarcale contre les femmes, prises pour cible à des fins électorales et c’est abject. Pas étonnant 52% de ses militants l’aient expulsé. »  

Je viens d’appliquer à Tom la méthode Mulcair. Celle qu’il a utilisée envers moi et PSPP dans sa chronique, Paul St-Pierre Poilievre ou l’intolérance comme arme politique. Comme lui, j’ai fait une fausse comparaison : Lévesque défendait les homosexuels, PSPP non. C’est aussi faux que de dire que le NPD défendait les femmes, Mulcair non. J’ai utilisé son expression « enlisé dans le bourbier de l’intolérance ». J’ai fait un raccourci entre sa défense du droit du port d’un signe religieux et le fait qu’il soit lui-même misogyne, exactement comme il l’a fait en disant que la mise en cause par PSPP de l’enseignement de la théorie du genre à l’école signifiait qu’il était intolérant envers les gais. Je lui ai prêté une intention : vouloir se faire du capital politique sur le dos des femmes, comme il en prête à PSPP sur la question du genre. J’ai même repris son « c’est abject ». J’ai tordu la signification de son vote de non confiance.

Le Code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes prescrit que, même dans « les chroniques et les billets ou dans le journalisme engagé, où l’expression des opinions prend une large place, les journalistes doivent tout autant respecter les faits ». 

Or Tom trahit les faits. Selon lui, j’ai «affirmé que les musulmanes qui portaient le voile intégral constituaient une menace pour la sécurité.» C’est faux. J’ai affirmé qu’il n’était qu’une question de temps avant qu’un terroriste ou un criminel n’utilise le voile intégral pour commettre un crime. J’avais raison. Des criminels l’ont porté au Canada pour des vols et pour une tentative de meurtre, aux États-Unis pour des vols et pour une agression sexuelle. Aux prises avec de nombreux attentats commis avec ce vêtement, une douzaine d’États africains l’ont interdit. 

Il écrit: «du bon travail journalistique avait vite permis de débusquer cette supercherie. Aucun corps de police n’était d’accord avec cette affirmation.» C’est faux. L’article auquel il réfère indique que la GRC a refusé de commenter et que la SQ et la SPVM ont affirmé ne pas avoir de «document» ou de «rapport» sur la question. 

Puis il y a la question du savoir-vivre. Je passe une quinzaine de minutes tous les matins avec Tom sur les ondes de Qub. Même si je suis en désaccord avec lui sur des sujets importants, il ne me serait jamais venu à l’esprit de l’embrocher violemment dans une chronique, encore moins de le diffamer. Chacun son style.  

Jean-François Lisée 

RÉPONSE DE THOMAS MULCAIR 

On peut différer d’opinions et avoir une lecture différente des faits. –Thomas Mulcair 

Écoutez en balado la Rencontre de Jean-François Lisée et Thomas Mulcair où les deux hommes s’expliquent en direct lors de l’épisode de Richard Martineau disponible sur la plateforme audio et vidéo QUB radio.


Torpille intersectionnelle

Comment faut-il s’y prendre pour transformer une cause immensément consensuelle, comme la volonté de progrès vers l’égalité des femmes, en foire d’empoigne ? Il suffit d’insister pour y insérer un concept nouveau, apparemment anodin, et exiger que tous y adhèrent, sous peine d’être suspects de n’être pas de vrais féministes, à quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars.

Le mot du mois est « intersectionnalité », depuis que la députée solidaire Ruba Ghazal a tenté, sans succès, d’en faire reconnaître l’existence par l’Assemblée nationale. Les caquistes, qui ont refusé de consentir à la motion, sont-ils réfractaires aux mots de plus de quatre syllabes ? À première vue, on ne voit pas où est le problème, car il s’agit de reconnaître que, souvent, un malheur ne vient pas seul. On peut être triplement marginalisée parce que femme, noire et handicapée (sauf pour obtenir une chaire de recherche du Canada, car si vous présentez ces caractéristiques et détenez les diplômes requis, les universités se battront pour vous embaucher). Songez aussi aux perspectives d’emploi d’un unilingue francophone gai affichant son macaron de Greenpeace dans l’industrie du pétrole en Alberta ou encore à l’environnement hostile dans lequel devrait vivre un salarié de la CBC de Toronto blanc, conservateur, pro-vie et pro-armes à feu. Ce serait le septième cercle de l’enfer intersectionnel, si le concept ne s’appliquait pas qu’aux minorités protégées par la Charte, ce qui exclut par définition les hommes blancs.

Autre exemple, pris celui-ci pas du tout au hasard : une femme, d’origine arabe, voilée, employée de l’État québécois en situation d’autorité. Voilà qu’on s’approche d’un beau cas concret où on découvre que l’intersectionnalité n’est pas qu’un terme descriptif, un outil pourrait-on dire, mais un argument juridique détonnant.

Il fait partie de l’arsenal des opposants à la loi québécoise sur la laïcité. La Fédération des femmes du Québec (FFQ) l’utilise dans son mémoire à la Cour d’appel, notamment dans cet extrait : « L’approche intersectionnelle doit ainsi guider l’analyse que la Cour entreprend sur la portée de l’article 28 », lit-on. C’est l’article de la Charte canadienne des droits qui favorise une interprétation des droits identique aux hommes et aux femmes. C’est fameux, car la disposition de dérogation utilisée par la loi sur la laïcité pour se soustraire à la Charte ne s’applique pas à cette disposition interprétative. La Cour pourrait, selon les plaideuses, l’utiliser pour invalider l’interdiction des signes religieux. La FFQ poursuit : « Autrement, l’on risquerait de mettre en oeuvre une protection qui n’est pas inclusive et donc incomplète, en ce qu’elle autoriserait un législateur à adopter une loi dont l’effet réel est de compromettre les droits et libertés de groupes minoritaires d’un sexe. »

Puisque le groupe minoritaire d’un sexe est doublement ou triplement frappé, il devrait jouir d’une protection supplémentaire. Dans cette logique, on pourrait conclure que les femmes blanches catholiques ne pourraient pas porter de signes religieux ostentatoires à l’école, mais les musulmanes d’origine arabe, oui. Pour les Blanches converties à l’islam, on est en zone grise. Mais on peut penser que des Québécoises noires ferventes catholiques pourraient porter une croix bien visible.

Sous des allures de promotion de concepts progressistes, nous sommes donc en présence d’une stratégie concertée pour introduire ce concept dans le droit québécois — une motion de l’Assemblée nationale étant un acte du Parlement, pas aussi fort qu’une loi, mais suffisamment probant pour être cité en cour. La Cour d’appel s’intéresse à cet argument entre mille, car une des plaideuses pro-loi 21, Christiane Pelchat, m’informe que la Cour a spécifiquement interrogé les plaidants à ce sujet. Bref, c’est l’intersectionnalité féministe au service du droit des religions d’afficher au sein de l’État des symboles de soumission des femmes.

Mais ce n’est peut-être qu’un malentendu. Ruba Ghazal savait-elle que sa motion aurait cet impact juridique ? J’ai posé la question à Québec solidaire et j’attends toujours la réponse. Si elle le savait, elle s’est bien gardée d’en informer les autres parlementaires. La FFQ, elle, en était évidemment consciente et, sur son site Internet, annonce que « nous avons déposé, avec le Collectif 8 mars et Québec solidaire, une motion ». C’est novateur. J’ai été membre de l’Assemblée nationale pendant six ans et c’est la première fois que je vois un groupe externe se vanter d’avoir déposé une motion.

Force est de constater que mes amis du Parti québécois sont tombés dans le panneau, appuyant la motion par réflexe progressiste sans avoir la moindre idée de son impact juridique. (À mon avis, ils ne se méfient pas assez du Politburo de QS.) Ce n’est pas la première fois qu’ils baissent la garde, ils l’avaient fait aussi dans des motions solidaires dénonçant « l’islamophobie », un mot chargé qui cumule à la fois le sentiment antimusulman (condamnable) et toute critique de la religion musulmane. Cet amalgame sulfureux n’est pas soutenu que par les despotes iraniens, mais par la nouvelle conseillère de Justin Trudeau en islamophobie et par la conseillère de Valérie Plante en matière d’antiracisme.

Dans les deux cas — islamophobie et intersectionnalité —, la Coalition avenir Québec a appliqué les freins. Est-ce par refus instinctif de toute cette novlangue diversitaire ou parce qu’elle est consciente des pièges juridiques qu’ils contiennent ? Mes sources à la CAQ se contredisent à ce sujet.

Pour QS et les néoféministes de la FFQ, une ligne rouge a été franchie. « Le fait que la CAQ n’ait pas appuyé la motion, dit Marie-Andrée Gauthier, porte-parole du Collectif 8 mars, sera un moteur de résistance féministe. » C’est, ajoute-t-elle, de « l’aveuglement volontaire ». Et si c’était au contraire un refus de se laisser aveugler ? Un sain scepticisme face à des concepts de velours dissimulant des torpilles favorables à des religions campant précisément à l’intersection de l’obscurantisme, de l’homophobie et de la misogynie ?

Réplique: Le jeu des erreurs de Frédéric Bérard

Frédéric Bérard m’a rendu un grand service ce mercredi en regroupant dans un seul article la plupart des faussetés et demi-vérités qui circulent sur mon compte au sujet de la laïcité (Lisée, Kaboul et St-Jérôme). Les lecteurs de Métro méritant mieux, je corrige la copie du chroniqueur.

VRAI : Il écrit : « avant que le débat sur le voile ne soit élevé au rang d’obsession médiatico-politique, le chroniqueur écrivait: « Le voile? Franchement, je m’y suis habitué et ce qu’on met sur sa tête ne devrait pas soulever l’ire nationale. »» C’était il y a 15 ans, avant qu’on discute spécifiquement des signes religieux dans l’État.  C’est en 2010, à l’occasion d’une pétition lancée par le grand Guy Rocher, que je me suis rangé au principe que les employés de l’État ne devaient afficher aucune conviction. Je m’en suis alors expliqué sur mon blogue, toujours en ligne et n’ai jamais changé d’avis depuis.

FAUX : J’aurais erré, écrit-il, en « associant fallacieusement Alexandre Cloutier à Adil Charkaoui » pendant la course au leadership de 2016. La réalité est que l’Imam toxique a écrit sur sa page Facebook le bien qu’il pensait d’Alexandre et le mal qu’il pensait de moi. Un journaliste a attiré mon attention sur ce fait, désagréable. Attaqué frontalement par l’équipe Cloutier au sujet de la laïcité, j’ai répliqué en attirant l’attention sur ce fait. J’ai aussi précisé qu’évidemment, Alexandre n’avait jamais voulu de cet appui gênant, mais l’Imam a récidivé.

FAUX : Bérard me décrit « accusant son rival d’avoir souhaité une «bonne fin de ramadan à [ses] amis musulmans». Cette citation n’existe pas. J’ai écrit au contraire au sujet des fêtes religieuses qu’il « n’est pas interdit de les souligner mais, à mon humble avis, il est préférable que l’État ne s’en mêle pas. Ce serait, en tout cas, ma pratique comme chef. » Signaler systématiquement les fêtes religieuses contribue, il me semble, à définir les communautés par la religion, plutôt que par leurs autres attributs.

FAUX : Le chroniqueur me cite ayant dit : «en Afrique, les AK47 sous les burqas, c’est avéré là». Il prétend qu’il n’y a « aucun cas recensé, ici comme ailleurs ». En fait, les cas sont à ce point recensés que plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, victimes d’attentats terroristes ainsi commis, ont interdit le voile intégral, ce que Google lui aurait facilement appris (lire ici). J’avais aussi écrit qu’il n’était qu’une question de temps avant qu’on vive une situation semblable chez nous. Mais en Amérique du Nord, l’usage criminel, (par des bandits, pas des dévots), du voile intégral fut relevé au Canada dans un meurtre, une tentative de meurtre, un vol, et aux États-Unis par plusieurs vols (le plus récent ici) et un enlèvement/agression sexuelle d’une fillette à Philadelphie.

FAUX. Il déclare ceci : « en feu lors d’une activité partisane péquiste, le politicien-scorpion hurle au micro, à répétition: « Y a des hidjabs partout… ça suffit! », enjoignant à la foule de se joindre à lui.» La vidéo existe. On n’y voit ni répétition ni hurlement. Ma position est que les éducatrices en garderies subventionnées ne devraient porter aucun signe, religieux ou autre. Dans les garderies à Montréal, le signe le plus visible – en fait le seul signe de conviction perceptible – est un symbole qui signifie spécifiquement modestie et soumission des femmes, exactement le contraire de ce que l’on veut enseigner à nos enfants.

FAUX : Bérard m’accuse de ne pas voir que l’analogie entre l’Arabie Saoudite et Montréal est « nulle, absurde et non avenue ». Samedi dans Le Devoir, j’ai écrit que « La situation est évidemment complètement différente à Montréal, où le voile, selon une intervenante interrogée dans ces pages, peut être un symbole féministe. Je n’en doute pas. »

FAUX : Bérard affirme au sujet du voile le « caractère volontaire du port en question chez la femme du Québec » et que « les illustrations, tristes et délétères, issues d’autres coins du globe n’ont aucune chance de résonance, ici. » Aucune chance ? L’an dernier, un père montréalais d’origine algérienne reconnu coupable d’avoir voulu tuer ses quatre filles car elles souhaitaient « s’habiller comme des québécoises ». Un écho de l’assassinat de trois jeunes Montréalaises (et de leur belle-mère) en 2009 par leurs parents d’origine afghane, les Shafia, mécontents des comportements insuffisamment islamiques de leurs filles. Bérard devrait avoir honte d’ignorer l’existence du voile contraint à Montréal, même s’il est, on l’espère, minoritaire.

Finalement Frédéric, homme sympathique pour lequel je n’ai aucune animosité, attaque mon honnêteté intellectuelle en prétendant que je suis trop « intelligent et cultivé pour (sincèrement) croire » à mes arguments laïques. Je ne lui rends pas la pareille. J’estime au contraire que, malgré son intelligence, Frédéric voit (sincèrement) comme une preuve de modernité et d’ouverture la normalisation dans des publicités gouvernementales de symboles de religions indubitablement inégalitaires, misogynes et homophobes, perçues par plusieurs québécoises, y compris d’origine arabe, comme les étendards de l’oppression.

Petite semaine (intégral)

La Commission canadienne des droits choisit une petite fille voilée comme symbole des droits et libertés. (Et la photo est tirée d’une manif anti loi 21.)

Comment a été votre semaine ? Tranquille ? Moi aussi. Enfin presque. J’étais en vacandes à la plage à Old Orchard avec mes filles et j’ai momentanément mis de côté le roman que je lisais (Mille Secrets, Mille Dangers, d’Alain Farrah, très bon) pour fureter un instant sur Twitter. J’y ai vu que HEC a choisi de montrer une jeune femme voilée pour promouvoir une maîtrise conjointe avec l’Algérie.

Dans l’univers publicitaire canadien, la femme voilée est désormais la norme lorsqu’on veut affirmer diversité et ouverture. Le gouvernement canadien le fait systématiquement. Même dans une récente pub à la gloire des vétérans, une silhouette sur quatre était celle d’une femme strictement voilée. Le quart des vétéranes canadiennes étaient voilés ? Je l’apprends. C’est bizarre puisque les musulmans représentent tout au plus 4% de la population canadienne, donc les musulmanes 2%, les voilées moins de 1%.

La vogue s’étend au secteur privé, y compris au Québec, Une lectrice m’écrit: « je suis graphiste, et il m’arrive de me faire demander d’ajouter de la « diversité » dans des rapports annuels sur lesquels je travaille. Souvent, on veut des musulmans. Je tente ma chance, et je propose des femmes à la peau un peu plus foncée, mais sans voile. Cela ne passe pas, malgré que je dise à mon client qu’il s’agit d’une musulmane non voilée. » 

C’est au point où, à part le rare turban Sikh, le voile musulman est la seule conviction affichée dans ces pubs. On ne voit aucun anarchiste, aucun écologiste, aucun athée, aucun partisan des gaz bitumineux, voire des  Maples Leafs de Toronto, de Raël ou de la religion majoritaire des canadiens, le protestantisme, ou de la minoritaire, les anti-vax. Seul Allah a droit à son affichage, à même nos impôts.

Il m’arrive de dénoncer cette prime à l’Islam sur Twitter lorsque je la vois passer. (Remarquez, je ferais de même si on montrait un Curé dans une pub de Santé Canada, mais ils se font rares.) Mais je n’avais encore jamais vu une institution québécoise francophone tomber dans ce panneau. Que des Algériennes voilées fassent une maîtrise à HEC, bravo. Qu’on en voie dans une photo de classe, certes. Mais qu’une institution laïque, scientifique, vouée à l’égalité des sexes, choisisse sciemment une femme voilée pour se représenter, non. La jeune femme existe, je lui souhaite beaucoup de succès. Elle n’est pas en cause. HEC l’est.

HEC: un facteur aggravant

C’est répréhensible en soi. L’Institution est laïque, elle n’a à normaliser dans ses pubs aucune conviction, politique ou religieuse. Le facteur aggravant en l’espèce est que la pub soit destinée à l’Algérie, où l’imposition du voile par les intégristes a laissé des traces. Parlez-en à Leila Lesbet, enseignante et féministe québécoise qui a quitté son Algérie natale en 2002 lorsque les intégristes l’ont menacée de mort. Elle dénonce « l’ignorance abyssale » de HEC face à l’histoire algérienne récente. « Des milliers de femmes, de jeunes filles et d’adolescentes ont été violées, tuées, égorgées, éventrées, mutilées de la façon la plus barbare qui soit et c’est ce symbole, dont nous gardons les stigmates à jamais et qui fait partie nos plus douloureux cauchemars, qui a été choisi par HEC Montréal.  » Cette « décennie noire » s’est terminée en 2002 et le voile n’est pas légalement obligatoire en Algérie. Mais il y a trois ans, 10 jeunes algériennes se sont suicidées, ne laissant qu’un message: au lieu d’une corde pour se pendre, elles avaient utilisé leurs hijabs. Cela a lancé un mouvement, « les prisonnières du hijab », des femmes affirmant que la pression pour son port est omniprésente, emprisonnante.

Un enseignant de HEC me fait parvenir ce témoignage:

J’enseigne depuis plus de 6 ans en Algérie dans les villes d’Alger, d’Oran et de Sétif et je peux dire que la majorité de mes étudiantes du niveau BAA ne portent pas de hijab. Ce qui n’est pas évident en Algérie.

J’ai créé une académie (Académie Evidencia) qui offre des formations professionnelles (MBA Corporate) en Algérie et plusieurs de nos participantes ne portent pas le hijab, surtout provenant du monde des affaires.

Après avoir donné plus de 200 cours à HEC dans différents programmes à plus de 9 000 étudiant(e)s, je peux compter sur les doigts de mes deux mains, le nombre d’étudiantes qui portaient un hijab. Par contre, j’ai eu des centaines d’étudiantes musulmanes qui ne le portaient pas. Je ne vois donc pas le but de faire un lien entre nos étudiantes musulmanes et le fait de porter un hijab.

Contrairement à la situation algérienne, à Montréal le voile, selon une intervenante interrogée par Le Devoir, peut être « un symbole féministe ». Je n’en doute pas un instant. Des femmes peuvent porter le voile pour se distinguer, pour fuir l’hypersexualisation, pour faire un pied de nez à  l’Occident, à François Legault, à leur famille non pratiquante, parce qu’elles trouvent ça beau, pratique, ou plus simplement parce qu’elles sont dévotes. Tous les cas de figure existent. Y compris celui du père montréalais d’origine algérienne reconnu coupable l’an dernier d’avoir voulu tuer ses quatre filles car elles souhaitaient « s’habiller comme des québécoises ». Ce despote domestique était d’avis que le voile signifiait, comme le disent les Imam, modestie et soumission. Un écho de l’assassinat de trois jeunes Montréalaises (et de leur belle-mère) en 2009 par leurs parents d’origine afghane, les Shafia, mécontents des comportements de leurs filles. Bref, le voile choisi — féministe ou religieux — et le voile contraint — y compris violemment — cohabitent à Montréal. On entend des professionnelles en hijab nous dire combien elles sont libres et heureuses de le porter. La raison pour laquelle celles qui le portent contre leur gré ne sont pas citées dans les médias est évidemment parce qu’elles craignent les représailles de leurs tourmenteurs.

Mon estimée collègue Pascale Navarro estime que chaque fois qu’on soulève cette question, ce sont les femmes qui trinquent. Elle n’a pas tort. Mais si on ne dit rien alors qu’on assiste à la généralisation du voile dans des publicités gouvernementales (et privées), ne donnons-nous pas aux intégristes des outils supplémentaires ? En faisant une norme publicitaire de la musulmane voilée ne mettons-nous pas l’épaule à la roue du voile contraint ? Ne permettons-nous pas à l’Imam, au père ou au grand frère de dire aux musulmanes: tu vois, même la CBC, même la Banque, même HEC disent que c’est bien, le voile !

Disponible en versions numériques et AudioLivres.

Un tweet, une nouvelle, des insultes

Alors, bon, comme je vous le disais, j’étais en vacances et j’ai écrit un tweet. Un excellent quotidien montréalais a décidé d’en faire une nouvelle. Cela m’a un peu étonné, mais, bon, pourquoi pas ? Mon tweet a ainsi été vu 300 000 fois. Non, mais, rendez-vous compte: c’est autant que les cotes d’écoute de L’île de l’amour.

Quoi d’autre ? Ah oui, j’ai été insulté par quatre plumes du quotidien La Presse. Pas contredit, ce serait normal. Mais insulté. C’est beaucoup. D’abord, Yves Boisvert a affirmé dans un gazouillis que ma position « subodore l’opportunisme politique ». D’ordinaire champion de la présomption d’innocence pense que je ne crois pas vraiment ce que je dis. Comme j’aime débattre mais pas insulter, j’ai répondu que je lui reconnaissais « le droit de choisir d’être mesquin ». Suis-je allé trop loin ?

Sa collègue Rima Elkouri a eu la bonne idée de consacrer une chronique à la jeune femme sur la photo de HEC ; elle est super sympathique. Rima m’a aussi mis en contradiction avec une citation de mon livre Nous de 2007 où je me disais non préoccupé par la présence du voile ; c’est de bonne guerre. C’est en 2010, à l’occasion d’une pétition lancée par le grand Guy Rocher, que je me suis rangé au principe que les employés de l’État ne devaient afficher aucune conviction. Je m’en suis alors expliqué sur mon blogue, toujours en ligne.

Maniant l’ironie, Rima m’a écrit : « Votre féminisme m’émeut. » J’ai répondu que son « absence de compassion pour les femmes victimes du voile contraint en Algérie et à Montréal me désole ». Elle a attiré mon attention sur le livre, La liberté n’est pas un crime (disponible ici), qu’elle a coécrit pour dénoncer le voile contraint en Iran ; je l’en ai félicitée. Mais elle m’a accusé « d’instrumentaliser » les femmes voilées ; je n’ai pas compris en quoi je les instrumentalisais davantage qu’elle, puisqu’on écrit tous les deux sur le sujet.

Puis, le chroniqueur Marc Cassivi m’a aussi accusé « d’opportunisme ». Détail amusant: il ne m’a pas nommé, mais a parlé de « s’enliser ». C’est comme un jeu de mots, voyez-vous ? Mais je passe l’éponge car il est le conjoint de Rima et on sait que la solidarité du couple nous pousse parfois à surréagir. Parlez-en à Will Smith !

Le quatrième est un collaborateur régulier du grand journal de la rue Saint-Jacques : Jocelyn Maclure. Homme brillant, il dirige une chaire de philosophie à McGill. Lui m’a traité d’islamophobe ; je lui ai demandé s’il comprenait que c’était un synonyme de raciste et qu’il qualifiait ainsi quelqu’un qui a simplement un point de vue sur la laïcité différent du sien. Il ne s’est pas rétracté. Remarquez, je prends la chose avec philosophie.

Je vous raconte tout ça parce que je lis tous ces gens avec intérêt et suis d’accord avec leurs écrits, selon les signatures, entre, disons, 51 et 95% du temps. En particulier lorsqu’ils dénoncent la montée de l’invective sur les réseaux sociaux.

Ah, j’oubliais. Le député fédéral de Rosemont et no 2 du NPD, Alexandre Boulerice, m’a demandé dans un gazouillis si j’étais parano, ou catho. Il m’a appris qu’il avait apostasié. Je lui ai confié que j’étais athée. Puis il s’est étonné que j’affirme que les religions ne sont pas fondées sur la science. Il semblait en douter, en tout cas dans le cas de l’Islam. Pour finir, je lui ai demandé ce qu’il pensait de deux publicités canadiennes récentes, dont une de la Commission des droits, qui montrent de façon positive des fillettes voilées. J’ai posé la même question à Rima.

J’attends leurs réponse. Je comprends que ça demande réflexion. Tiens, j’ai une idée. Le sept septembre se tiendra à Montréal le lancement du livre « Lever le voile » de Yasmine Mohammed, la canadienne forcée de porter le voile intégral par son mari et qui dirige maintenant un réseau de femmes libérées du voile contraint, y compris chez nous, « Forgotten Feminists ». Ce lancement serait une chouette occasion pour qu’Alexandre, Yves, Jocelyn et Rima viennent célébrer avec moi le courage de ces femmes et qu’on en profite pour définir une position commune sur l’opportunité de montrer des petites filles voilées dans des pubs gouvernementales. Je suis certain qu’on peut s’entendre.

Marc: tu peux venir aussi.

(Une version plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)


Torturer l’histoire (intégral)

Tiens, il me vient soudainement le goût de produire un documentaire. J’y ferais la démonstration qu’avant le référendum de 1995, le nationalisme québécois était étroit, fermé, xénophobe. Mais qu’après, il devint moderne, attentif aux minorités, ouvert sur le monde. Les faits seront vrais, je le jure. Mais le tri que j’en ferai, le poids relatif que je leur donnerai, le ton du narrateur (moi),  la sélection et le montage des entrevues d’invités et de commentateurs seront complètement assujettis à ma thèse.

Je commence.

La noirceur

Dès sa création en 1968 le Parti québécois se distingua par une rhétorique ethnique revancharde. Son chef, René Lévesque, utilisa d’emblée l’expression réductrice « nous autres » et n’arrêta pas de dénoncer comme ‘Rhodésiens’ les citoyens anglophones du territoire. Pour stigmatiser l’immigration, Lévesque les accusait à répétition d’être les instruments de la « noyade » des Québécois. Pendant la campagne référendaire de 1980, il poussa la mesquinerie jusqu’à accuser Pierre Elliott Trudeau, un Québécois, à avoir choisi le côté Elliott, de sa mère anglophone, plutôt que le côté Trudeau, de son père francophone. Lévesque avait choisi pour l’appuyer un intello maudit, Camille Laurin, qui affirmait vouloir que « le Québec soit aussi français que l’Ontario est anglaise ». Sachant que l’homogénéité linguistique de l’Ontario découle de l’interdiction, un temps, de l’école française, on mesure la cruauté de ce projet.

Terrorisés, des italo-montréalais résistèrent héroïquement à la volonté d’obliger leurs enfants à aller à l’école française, et furent poussés à l’émeute. Les Congrès juifs, italiens et grecs s’unirent pour s’opposer systématiquement au joug péquiste, appelant fièrement les membres de leurs ethnies à voter massivement pour la liberté et contre l’oppression. D’ailleurs, les citoyens grecs de la circonscription de Mercier, représentée par le poète-ministre Gérald Godin, ont toujours compris qu’il n’était qu’un cheval de Troie. Malgré toutes ses politesses, ils n’ont jamais voté pour lui. Nos concitoyens juifs avaient des raisons supplémentaires de craindre pour leur bien-être. « Ne vous y trompez pas, ces bâtards veulent nous tuer » leur révéla en 1976 un des leaders de la communauté, Charles Bronfman. L’auteur Mordecai Richler, fin connaisseur du Québec même s’il n’en parlait pas la langue, écrivait dans les publications américaines entendre des « bruits de bottes » et annonça qu’un chant péquiste était une traduction d’un hymne nazi. Ces inquiétudes étaient fondées. L’infâme loi 101, votée en 1977, arracha à tous les futurs immigrants le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Dans les entreprises de plus de 50 employés, le français imposa son règne au mépris des autres langues. Dans l’affichage commercial, c’était la totale: le français, seul, devait être vu. Toutes les autres langues, et surtout l’idiome de Shakespeare, étaient bannies, traquées par la vengeresse police de la langue. Lévesque allait d’ailleurs révéler le fond de sa pensée rétrograde en sortant d’une remise et en lui donnant une place de choix devant le Parlement la statue de Maurice Duplessis, incarnation même du nationalisme conservateur répressif.

La solution en cliquant ici.

La lumière

Heureusement, la génération suivante de chefs indépendantistes tournèrent le dos à cette vision étriquée du nationalisme pour faire place à un projet complètement nouveau. Il fallait d’abord établir l’harmonie avec la minorité historique du Québec, anglophone. Jacques Parizeau, d’abord, diplômé de la London School, s’y attela avec fougue.  « L’anglais est la lingua franca nouvelle, dit-il. Il faut qu’on en favorise l’acquisition comme on le fait dans les pays européens. Comme je crois que les dirigeants de notre société seraient grandement avantagés s’ils pouvaient s’exprimer en anglais ». Il promit d’ailleurs de « botter le derrière » de ses ministres qui ne seraient pas bilingues. Il demanda à une de ses députés d’ascendance irlandaise, Jeanne Blackburn, de formuler des propositions pour que les droits anglophones soient introduits dans le programme péquiste (ce qui fut appuyé par les deux tiers des délégués, enfin désintoxiqués de l’influence néfaste des Lévesque/Laurin). Parizeau l’inséra ensuite dans sa loi référendaire, assurant aux anglos-québécois davantage de droits dans un Québec souverain que les francophones n’en ont au Canada, ainsi qu’un droit de veto sur tout changement les concernant. Les mots me manquent pour décrire la gratitude avec laquelle ces changements ont été accueillis dans la presse anglo-montréalaise et torontoise.

Il ne fut plus jamais question de Rhodésiens, de noyade ou d’interdire l’anglais sur les affiches. Le leader suivant, Lucien Bouchard, alla réitérer cette volonté de vivre ensemble lors d’un discours historique au Centaur. Ensuite, Pauline Marois brisa un tabou en nommant un de ses ministres spécifiquement responsable du dialogue avec les anglos.

La seconde tâche d’ouverture concernait les peuples autochtones. C’est Bernard Landry qui frappa le plus fort, signant avec les Cris une « Paie des Braves » que le chef Cri Ted Moses cita partout comme un exemple exceptionnel de concorde entre autochtones et Blancs. Landry signa aussi l’entente historique avec les Inuits ouvrant la porte à leur gouvernement autonome. Le PQ fit entrer en 2007 dans son caucus le premier député autochtone de l’histoire du Québec : Alexis Wawanoloath, un Abenaki.

L’après 95 vu aussi se multiplier les gestes d’ouverture envers les Québécois issus de l’immigration. L’uruguayen d’origine Joseph Facal devint rien moins que Président du conseil du trésor. Le camerounais d’origine Maka Kotto, ministre de la Culture. Une cambodgienne d’origine devint vice-présidente du PQ en même temps qu’un économiste né au Gabon Président. S’inspirant d’expériences étrangères, Pauline Marois alla jusqu’à proposer l’instauration d’une citoyenneté québécoise qui serait d’abord octroyée à tous les citoyens québécois actuels, faisant en sorte que tous les anglos et tous les québécois issus de l’immigration en soient automatiquement dotés. Un signal d’inclusion fort. Pour les nouveaux arrivants, la procédure aurait été identique à la canadienne: démontrer une connaissance minimale de la nation d’adhésion et en parler la langue officielle.

Dans cette foulée en 2017, entouré de représentants de communautés, un chef péquiste déposa à l’Assemblée nationale un projet de loi proposant davantage de mesures antiracistes que tout ce qu’on avait connu auparavant.

Surtout, une nouvelle alliance s’est formée dans l’après 95 entre les féministes du Parti québécois et un groupe de 150 femmes immigrantes d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, qui avaient choisi le Québec justement pour l’égalité quelles y avaient trouvé pour les femmes et pour sa pratique de distinction nette entre l’État, progressiste et ouvert, et les religions, conservatrices et rétrogrades. Ensemble, côte-à-côte, québécoises de souche et d’adoption ont fait avancer le Québec vers une plus grande laïcité de l’État en militant contre l’affichage de signes misogynes chez les employés de l’État.

Les signes de ce nouveau nationalisme étaient aussi visibles dans une nouvelle jeunesse décomplexée. Des voix comme le sénégalais d’origine Boucar Diouf en sont le porteur, ou le cinéaste phare de sa génération, Xavier Dolan, faisant une sortie indépendantiste en recevant un de ses prix à Cannes.

Fin du documentaire sous les applaudissements nourris à Cannes

***

Alors, qu’en avez-vous pensé ? Tout est vrai, pour l’avant comme pour l’après 1995. Croyez-vous que Radio-Canada accepterait de le diffuser ? Si oui, peut-être le trouverait-il cependant tellement biaisé qu’il ne le programmerait qu’à une heure de petite écoute, un samedi soir de printemps.

La réalité est plus riche et plus intéressante.

La réalité est que de Lévesque à aujourd’hui, le PQ a défendu la laïcité et les femmes, avant, pendant et après 1995. Il fut sans arrêt précurseur envers les Premières nations et a sans fléchir défendu les droits historiques des anglos. Il a même repris, récemment, la doctrine de la « convergence culturelle » inventée par Laurin pendant le premier mandat Lévesque.

Surtout, le PQ a toujours défini la nation québécoise comme fondée sur sa majorité francophone, qui donne un cœur et un sens à son identité, souhaitant accueillir en son sein les nouveaux venus. Cette continuité identitaire fut interrompue pour une période de 12 ans, depuis le soir du discours de Jacques Parizeau sur « des votes ethniques » jusqu’en 2007. Ce discours tragique, pour M. Parizeau et pour nous, mit sur ces questions le PQ sur la défensive, vulnérable aux attaques de repli sur soi qu’il avait de tout temps essuyées, et le conduit à une dénationalisation du projet d’indépendance, d’une perte, donc, de la raison forte qui fondait son existence.

Les discours révisionnistes en vogue accusant le nationalisme d’aujourd’hui d’être « conservateur » alors que celui d’avant 1995 était plus ouvert démontrent d’abord une totale méconnaissance de la réalité des années 1960 à 1995 (plusieurs de ceux qui commentent la chose n’étaient pas nés à cette époque) et son surtout nostalgiques de la période 1995-2007 où le nationalisme était honteux et se transformait lentement en un clone québécois du trudeauisme post-national canadien.

Heureusement, avec le discours sur le « Nous inclusif » de Pauline Marois en 2007, le nationalisme s’est a repris pied. Il est redevenu lui-même. Il est à nouveau certain de ce pourquoi il se bat: pour une nation singulière, sa langue, son histoire, sa culture, enfin sortie de sa période honteuse et qui, malgré les quolibets incessants, ne s’excuse plus d’exister.


On s’abonne en cliquant ici.