Merci à l’Institut de statistique du Québec d’avoir extrait pour moi ces chiffres de l’enquête sur la population active de Statistique Canada.
Voici les deux tableaux concernant les minorités visibles.




Merci à l’Institut de statistique du Québec d’avoir extrait pour moi ces chiffres de l’enquête sur la population active de Statistique Canada.
Voici les deux tableaux concernant les minorités visibles.




Pendant des millénaires, philosophes et théologiens ont épuisé les ressources de la rhétorique pour tenter de démontrer l’existence de l’âme humaine. Ils n’ont jamais atteint de certitude. L’absence de l’âme étant inconcevable, sa présence doit être arrachée au néant par la seule puissance de la déduction.
Ces débats n’ont plus lieu d’être. Le jugement rendu mardi par le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure du Québec, pourra être brandi dans tous les débats théologiques à venir. L’âme humaine existe. La preuve : son existence constitue un des fondements du droit canadien.
(Une version légèrement écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)
Le juge devait déterminer si l’on pouvait demander à une personne religieuse salariée de l’État de retirer ses signes religieux pendant ses heures de travail. Au paragraphe [1098], la lumière jaillit. La réponse est non, car « cette violation » atteindrait « l’âme ou l’essence même de cette personne ». Bigre.
Ailleurs dans le jugement, le magistrat est très tatillon sur la qualité de la preuve qui lui est présentée. Par exemple, il trouve peu convaincants les témoignages et les arguments sur l’effet que pourrait avoir sur des enfants la présence de signes religieux représentant, par exemple, la modestie et la soumission des femmes, portées par des figures d’autorité qui ont pour mission de servir d’exemple à la jeunesse. Même si une enseignante porte la burqa, symbole suprême de l’oppression des femmes, les jeunes n’en tireront selon lui aucun enseignement.
(Le texte se poursuit après la pub.)


Qu’en est-il de la qualité de la preuve sur l’existence de l’âme, nécessaire pour conclure qu’elle serait violée par la Loi sur la laïcité de l’État ? Malheureusement, sur 346 pages, on ne trouve pas le début du commencement d’un indice, d’une trace, voire d’un faisceau de présomptions sur lesquelles il s’appuie pour en décréter l’existence. Il la déclare réelle, lui donne vie et corps, par fiat. C’est quand même lui le juge, que diable !
Non content de proclamer son existence, il la connaît suffisamment pour nous dire ce qu’elle n’est pas. Des rustres ont eu l’outrecuidance d’affirmer devant lui que, puisqu’il est interdit aux employés de l’État de porter au travail des signes témoignant de leurs convictions politiques, sociales ou syndicales, l’interdiction devrait s’étendre aussi aux signes de conviction religieuse.
Que nenni ! Certes, admet-il, l’interdiction de ces autres signes viole la liberté d’expression du salarié, mais il ne s’agit pas là d’un droit fondamental qu’il sied de protéger. Pourquoi ? Parce que « cette violation n’atteint pas l’âme ou l’essence même de cette personne ». Vous avez consacré votre existence au féminisme, à l’écologie, à l’indépendance ? Sachez que votre vocation, même si certains de vos proches vous trouvent obsédés par elle, n’a nullement percolé jusqu’à votre âme ou votre essence. Cela n’a même pas laissé d’empreinte, contrairement à la religion, écrit le juge, sur « l’un des fondements mêmes de l’être ». L’enseignante qui s’est convertie à l’islam la semaine dernière, ou qui n’a jamais porté le hidjab mais s’en coiffe spécifiquement pour contester une loi de la CAQ, elle, doit être vue comme fondamentalement imbue, dans son essence spirituelle, par cet objet sacré dont elle est désormais indissociable. Le juge Blanchard le sait, car il détient les clés de l’âme, de l’essence, des fondements des êtres.
Des audacieux lui ont dit que, sur le continent qui a inventé le concept même des droits de l’homme, l’Europe, des magistrats aussi studieux que lui avaient tiré des conclusions complètement inverses. Que le port de signes religieux n’est pas un droit fondamental. Les Belges ont même inventé un mot pour interdire l’affichage « convictionnelle » dans lequel ils mettent à égalité le macaron syndical ou la croix de Jésus. C’est qu’ils n’ont pas été frappés, comme notre juge, par la révélation de l’existence de l’âme.
Depuis plus d’un siècle en France, chrétiens, juifs et musulmans employés de l’État retirent leurs signes religieux avant d’entrer au travail et les remettent à la sortie. Malgré la vigilance constante de milliers de curés, de rabbins et d’imams, Dieu n’a, en 116 ans, donné aucune indication qu’il était mécontent de cet arrangement. On n’a signalé de sa part aucun refus d’entrée au paradis pour ses ouailles qui se sont pliées à la règle républicaine.
Il semble que Dieu serait moins clément de ce côté-ci de l’Atlantique. L’obligation faite aux croyants québécois de retirer leurs signes entraînerait, écrit le juge, « une conséquence cruelle qui déshumanise les personnes visées ». Oui, car elles ne pourraient ainsi agir « en fonction de leur âme et conscience, en l’occurrence leurs croyances ». Ici, le juge postule que les croyances de ces salariés les obligent absolument à porter ces signes, sous peine de… de quoi exactement ? De la réprobation de leur Dieu. En matière de respect de la croyance religieuse, si on ne tient pas pour avéré que Dieu réprouve un comportement, il n’y a pas de dilemme.
Porteur de vérités venant de l’invisible, l’honorable Marc-André Blanchard aurait pu éviter toute cette cruauté déshumanisante en proclamant aussi que Dieu est infiniment bon et infiniment miséricordieux. Qu’il ne tiendra donc nullement rigueur à ses enfants qui acceptent les normes sociales. Le magistrat aurait pu mobiliser saint Paul, qui implorait ainsi les Romains : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, […] si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement. » Il avait tout prévu, saint Paul, y compris le jugement.
Mais le juge prend la direction inverse. Prétendant interpréter la constitution, il impose des vues exactement contraires à celles des constituants les plus récents. En 1998, des personnes à ne jamais inviter à la même soirée, Lucien Bouchard et Jean Chrétien, Pauline Marois et Stéphane Dion, ont modifié la constitution canadienne pour mettre fin aux commissions scolaires catholiques et protestantes du Québec et les remplacer par des structures laïques, les commissions scolaires linguistiques. Des commissions non-religieuses.
Notre juge ne capte aucun signal laïc dans cette décision pourtant récente. Brûlant d’une foi ardente dans l’importance du religieux dans la société, il accepte avec enthousiasme la volonté de commissions scolaires anglophones « d’engager et promouvoir des personnes portant des signes religieux parce qu’elles considèrent que cela participe à promouvoir et à refléter la diversité culturelle de la population ».
Le paragraphe suivant mérite d’être cité en entier, car il nous ouvre un univers de plaisirs pour les décennies à venir:
« Sans crainte de se tromper, le Tribunal peut affirmer que le bon sens, qui fait partie de l’attirail judiciaire, permet de conclure que l’absence systématique dans un espace social de personnes auxquelles une autre, partageant les mêmes caractéristiques, peut s’identifier constitue à la fois un obstacle dans la reconnaissance sociale de la valeur de ces caractéristiques, tout autant qu’un facteur de marginalisation pour tout individu qui visa à obtenir cette reconnaissance. »
Bon sang mais c’est bien sûr ! Le corps enseignant, le personnel de soutien même, de chaque école doit être représentatif des caractéristiques des élèves. Dans ce cas, il ne suffit pas de permettre aux enseignants de porter des signes religieux. Il ne suffit pas de le promouvoir. Car il est certain, comme le soulignait l’an dernier Guy Rocher, que les chrétiens s’affichent beaucoup moins, cette décennie-ci, que les musulmans ou les sikhs. Les élèves catholiques et protestants seront donc en danger de marginalisation, de non reconnaissance. Et qu’en est-il de la proportion grandissante d’enfants dont les parents sont athées ? On sent tout de suite leur malaise de ne pas se reconnaître parmi le kaléidoscope de signes religieux qui passera devant eux. Je ne vois qu’une solution, pour un jugement Blanchard II : imposer des quotas de signes religieux et athées dans le corps enseignant qui fluctueront avec l’évolution de la pratique religieuse ou athée dans la région où l’école est située. (Évidemment, je déconne !)
Le fait est que, si on retire la foi du jugement Blanchard, tout son édifice juridique s’écroule. La présomption de l’existence de l’âme et des représailles d’un Dieu intolérant, le postulat aveugle que chaque porteur d’un signe religieux y est spirituellement attaché et le refus de reconnaître la profondeur de convictions autres que religieuses sont, tous, des actes de foi du juge. Nous ne sommes pas dans le droit, nous sommes dans le dogme. Face au dogme, il n’y a qu’un remède : la laïcité.

J’ai une relation compliquée avec Sugar Sammy. D’abord, je le trouve extrêmement drôle. C’est un plaisir coupable, car l’essentiel de son humour utilise le ressort du mépris, et du mépris ethnique. Mais il le fait avec un tel talent, et contre un si grand nombre d’ethnies, dont la sienne, que le rire qu’il provoque est au moins égal à sa méchanceté. C’est mon outil de mesure: plus on est méchant en humour, plus il faut être drôle.
Sa série avec Simon-Olivier Fecteau, Ces gars-là, était savoureuse. Fecteau écrivait les textes, bien sûr, mais il testait ainsi l’élastique de Sammy, dont on sait qu’il est un ancien militant du Parti libéral du Canada. Il a déjà déclaré que son humour était sa façon de prolonger, sur scène, son engagement politique fédéraliste. C’est son droit.
Deux épisodes très politiques de Ces gars-là sont dignes de mention. Dans un cas, Sammy était confronté à une amende de l’OQLF. Le fonctionnaire fictif de l’office lui disait qu’il pourrait passer l’éponge si Sammy allait personnellement inspecter un commerce anglophone qui semblait délinquant. Lorsque Sammy y va, à contrecœur, il découvre que ces anglos sont non seulement anti-francophones, mais aussi anti-indiens et anti-pakistanais. Choqué, Sammy remplit avec enthousiasme tous les formulaires de dénonciation. Là, Sammy illustre que lorsqu’on est la cible de la discrimination, il est normal de vouloir sévir, y compris en matière linguistique.
L’autre est une allégorie sur « l’argent et des votes ethniques ». La majorité francophone dans un édifice à logements est sur le point de voter une résolution qui déplait à Sammy. Pour fausser le vote, il paie des non-francophones pour venir occuper illégalement un appartement, ce qui fait basculer la majorité, de justesse, en faveur du NON. Sammy participe là à une dénonciation transparente de la tricherie référendaire fédérale de 1995.
Évidemment, dans ces cas, il ne fait que livrer le scénario de Fecteau. Mais ayant été volontaire pour illustrer à l’écran le contraire de ce qu’il prêche sur scène, on est en droit de se poser la question qui tue: le mépris ethnique qui ponctue ses monologues est-il sincère ou feint ? Dans une entrevue donnée en France, à un interviewer qui lui reprochait ce trait, il a répondu qu’il le faisait avec « bienveillance » et que cela paraissait dans « le ton » qu’il utilisait. Ce n’était pas totalement convainquant.
(Le texte continue après la pub.)


Il ne fait aucun doute que Sugar Sammy est attaché au Québec et à Montréal. « J’ai eu de la chance, je suis né au bon endroit et au bon moment » dit-il, répétant que sa maison est ici. Je me souviens qu’il était étonné et ravi d’avoir reçu l’Olivier de l’année en 2013 (résultat du vote du public). Alors ministre, je l’avais félicité. Il s’en disait aussi étonné et ravi.
Lorsqu’on extrait la dérision et l’humour méchant, que reste-t-il ? La conclusion d’un de ses monologues est transparente. Il parle des statistiques qui segmentent les Québec entre « francophones », « anglophones » et « autres ».
« Je rêve du moment, dit-il, où on sera tous « autres »!. »
On peut y voir du multiculturalisme extrême, une volonté que tout ce qui reste soit la mosaïque culturelle remplaçant, au final, une société francophone et une minorité anglophone. Où on peut y voir aussi un appel à un métissage intégral dans un grand Québec multilingue.
En entrevue au Devoir, il a un jour dit: « Le Québec, en étant au confluent de plusieurs influences culturelles, de plusieurs langues, a quelque chose d’unique, et si on s’en sert bien, on va pouvoir facilement se placer en tête de parade.»
Ce qui est certain est que Sugar Sammy est un enfant de la loi 101. Sans René Lévesque et Camille Laurin, sa carrière serait anglophone et son talent pour la provocation ne ferait pas partie de l’univers culturel québécois. (Il promet pour bientôt un nouveau spectacle pour le Québec francophone encore plus décapant. « Je mets le feu et je me lance vers les sorties » explique-t-il.) C’est quand même une victoire des indépendantistes d’avoir fait en sorte qu’on puisse se faire insulter aussi durement et aussi brillamment dans notre propre langue par un fils d’immigrant anglophone.
Il m’arrive de croiser le fer avec lui sur twitter, ce que nous avons fait cette semaine, autour de la controverse portant sur la Une du Journal de Montréal. Pour ceux qui n’ont pas accès au réseau des gazouilleurs, voici l’échange:




Plus sérieusement, j’ai donné mon avis à Sophie Durocher au sujet de la polémique suscitée par la Une du Journal. On peut l’écouter ici. Avertissement: je n’ai pas de solution à offrir.


Les fonctionnaires fédéraux ont-ils droit à la liberté de conscience ? Pour peu qu’ils soient respectueux des normes et des lois et de leurs collègues de travail, ont-ils droit à leurs propres opinions sur l’histoire de leur pays et sur l’état des relations raciales ? La réponse est désormais non. Il existe une doctrine d’État que les fonctionnaires doivent apprendre et internaliser, quelles que soient leurs expériences de vie ou leurs visions du monde.
Un document fédéral officiel obtenu par le Toronto Sun grâce à la Loi sur l’accès à l’information est à la fois fascinant et scandaleux. Il s’agit du Parcours d’apprentissage dans le cadre de la lutte contre le racisme. La chose irait de soi si l’apprentissage en question portait sur les pratiques discriminatoires à éviter, les bienfaits des politiques d’accès à l’égalité, les normes, les recours et les sanctions. Mais le document s’attaque aux opinions qu’on peut avoir — et qu’on ne doit pas avoir — sur les causes, l’histoire et la définition du racisme. Les participants sont appelés à « apprendre, désapprendre et réapprendre ».
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
Par exemple, peut-être avez-vous la conviction que le Canada fut fondé sur une volonté de créer un pays distinct de l’expérience états-unienne, mettant en équilibre les intérêts de plusieurs anciennes colonies, dont le Québec francophone, et voulant maintenir un lien fort avec la couronne britannique ? Peut-être pensiez-vous que, parmi les graves imperfections du pays, il y eut la mauvaise part faite aux Autochtones et des pratiques répréhensibles envers des minorités de couleur ?
Si vous jugiez que, contrairement à l’impact structurel de l’esclavage dans l’histoire états-unienne, ces événements malheureux ne constituaient pas l’essence même de l’existence du Canada, l’État canadien vous rabroue officiellement. Vous êtes porteurs d’un « mythe » et de « déformation des faits historiques » qu’il faut désapprendre. La réalité, présentée comme un « fait » qui n’est pas ouvert au débat, est que le racisme est au cœur de l’expérience canadienne, un de ses fondements. L’existence même du Canada est une agression.


Trudeauiste bon teint, peut-être oserez-vous faire valoir que le multiculturalisme est une politique officielle depuis un demi-siècle et que le Canada est en passe de s’affranchir de son passé honteux ? Vous avez tort. Je cite : « Chaque institution était et est toujours utilisée pour prouver que la race existe et pour promouvoir l’idée que la race blanche est au sommet de la hiérarchie des races et que toutes les autres lui sont inférieures. » Chaque institution était et est toujours, en 2021, raciste. Et si vous tiquiez devant le concept de racisme systémique, cramponnez-vous, car la doctrine officielle a franchi un nouveau cap. Le document décrit ainsi la situation actuelle du racisme canadien : « Un groupe a le pouvoir de pratiquer une discrimination systématique au moyen des politiques et pratiques institutionnelles. » Oui, on est passés de systémique à systématique.
La doctrine vous rabroue doublement si vous osez procéder à des comparaisons avec les États-Unis sur le nombre des victimes ou sur l’intensité du dommage causé. Le document est explicite : « Le racisme est tout aussi grave au Canada. » Fin de la discussion. C’est un dogme.
Il y est aussi question d’esclavage, et le document prend bien soin d’indiquer que ce fléau fut répandu au Canada, y compris en Nouvelle-France, ce qui est vrai. Les fonctionnaires qui l’ignoraient peut-être sont aussi informés que les Autochtones furent victimes de l’esclavage. Mais le document omet de signaler que les nations autochtones pratiquaient l’esclavage entre elles avant l’arrivée des Européens, et après, et qu’elles ont participé à la traite des Noirs sur le continent. Je souhaite bonne chance au fonctionnaire qui oserait soulever ce fait historique lors d’une formation.
Puisque le racisme est défini étroitement, comme l’oppression d’une race par une autre, et jamais d’une ethnie par une autre, il n’est nulle part question du fait que les Britanniques, des Blancs, ont voulu déporter d’autres Blancs, des Acadiens, ou que les Canadiens français furent pendant deux siècles victimes de discrimination. Le colonialisme est un élément fondateur du pays (c’est incontestable), mais pas la Conquête (c’est loufoque). Notons que l’antisémitisme est aussi passé sous silence, un angle mort problématique dans la culture woke.
On y parle évidemment du privilège blanc, qui peut être personnel, institutionnel ou structurel, intentionnel ou non. Tous les fonctionnaires blancs doivent donc apprendre qu’ils sont, par défaut, coupables de racisme. C’est dans leur nature. Le caractère univoque et culpabilisateur de la formation est à couper le souffle.
Prenons un instant pour réfléchir à l’existence même de ce document officiel.
Nous avions entendu Justin Trudeau déclarer à plusieurs reprises qu’il avait, lui, la conviction que toutes les institutions canadiennes étaient coupables de racisme systémique. Il est rare que le premier ministre d’un pays accable ainsi la totalité des institutions qu’il a pour charge de diriger, de représenter et, au besoin, de réformer.
Mais bon, c’était son avis personnel. Que ces notions soient débattues dans les universités, dans les panels, à la radio ou dans les journaux est une chose. Mais il ne s’agit plus désormais d’opinions discutables parmi d’autres. Les fonctionnaires fédéraux sont désormais contraints de participer à des formations où on leur dit que cette vision du monde est la bonne, que c’est la ligne juste, et que s’ils pensent autrement, ils doivent désapprendre, pour mieux apprendre. Il s’agit ni plus ni moins que d’endoctrinement.
On voudrait savoir qui a décidé que la théorie critique de la race était devenue doctrine d’État ? À quel moment et dans quel forum ? Qui a acquiescé à cela ? Et surtout, comment infirmer cette décision absurde qui est une atteinte frontale à la liberté de conscience ?

On l’entend déjà, la musique de la pénurie de main-d’œuvre, avant même que la pandémie nous tourne le dos. On l’entend dans les questions posées par la cheffe libérale. Dans les déclarations patronales, chez quelques économistes et chroniqueurs. Il manque tellement de main-d’œuvre dans tellement de secteurs, va le refrain, qu’il faut de suite doubler, tripler, quadrupler l’immigration.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
Si seulement on faisait venir 30 000 infirmières, on réglerait notre problème ! Mais 30 000, réparties sur le territoire, c’est l’équivalent de la population de Chambly. Les enfants de ces infirmières vont exacerber la pénurie d’enseignants, non ? Qu’à cela ne tienne. Faisons venir 30 000 enseignants. Mais ne devra-t-on pas bâtir des maisons pour loger ces 60 000 nouveaux Québécois ? Ce qui va accroître la pénurie dans la construction. D’accord pour ajouter 30 000 ouvriers (ne pas oublier les soudeurs). Mais on a maintenant dépassé la population totale de Repentigny. On vient d’aggraver la pénurie dans le secteur manufacturier, dans les technologies de l’information, dans les transports. Bon, je pense que vous saisissez. Une méta-étude (Longhi et coll. 2010) montre qu’il faut 49 salariés pour répondre aux besoins générés par 50 nouveaux citoyens. Il en reste un, un seul, pour pourvoir un emploi jusque-là vacant. Ma calculatrice est formelle : en suivant cette équation, pour pourvoir par l’immigration les 150 000 postes vacants au Québec, il faudrait 7,5 millions d’immigrants.
Qu’on me permette de citer un de nos plus brillants économistes, Carlos Leitão : « Pour la pénurie de main-d’œuvre, la solution numéro un reste la formation de la main-d’œuvre. On peut toujours aller chercher des immigrants dans des domaines spécialisés, mais l’immigration ne réglera pas la pénurie de main-d’œuvre de façon générale. » Je note qu’il n’a pas répété cette vérité scientifique depuis qu’il a rejoint le Parti libéral du Québec.
L’immigration est un excellent moyen pour faire grossir l’économie en soi (mais pas pour enrichir les citoyens en moyenne), pour tirer légèrement les salaires vers le bas (un grand objectif patronal), pour montrer de la solidarité internationale. Dans une société dont la langue est en déclin rapide, une immigration de langue étrangère est un accélérateur, plutôt qu’un frein, de la chute.
Ce dont on parle trop peu, par contre, ce sont les avantages de la pénurie de main-d’œuvre.
(Le texte se poursuit après la pub.)


Les salaires montent. Lorsque le chômage était à 8 %, en 2010, l’augmentation réelle des salaires ne fut que de 0,5 %. Dix ans plus tard, avec un chômage à 5 %, les salaires réels ont crû de 5 %, un record. La pénurie de main-d’œuvre renverse le rapport de force patrons-salariés en faveur des salariés. Une bonne chose.
N’avez-vous pas été frappés par le fait que plus de 10 000 Québécois ont répondu présents à une offre d’aller changer des couches d’aînés lorsqu’on leur a promis 26 $ l’heure ?
La pauvreté recule. En 2010 il y avait 228 500 adultes prestataires d’aide sociale (donc aptes au travail). Dix ans plus tard, ils ne sont plus que 130 000, une réduction sensationnelle de près de 60% (et il ne reste plus que 83 000 ne présentant aucune contrainte à l’emploi). Du jamais vu. Et une preuve que lorsque les emplois sont disponibles et que les salaires montent, les assistés sociaux ne demandent pas mieux que d’aller au boulot. Cela a des conséquences sur la sortie de la pauvreté. Le nombre de Québécois à faible revenu (mesure du panier de consommation) est passé de 975 000 en 2006 à 705 000 en 2016, une réduction de près de 30 %.
La pénurie contribue à un cercle vertueux : moins de pauvreté signifie moins de problèmes de santé générés par cette pauvreté, moins de coûts sociaux, plus d’activité économique, plus de rentrées fiscales pour l’État, donc pour les dépenses publiques.
La discrimination à l’embauche recule. Il y a une décennie, le taux de chômage des immigrants arrivés chez nous depuis 5 à 10 ans était près du double (15 %) de celui des natifs québécois (8 %). Désormais à 6,1 %, ce taux s’approche de celui des natifs, à 4,5 %. C’est facile à comprendre : lorsqu’il y a des Mohammed et des Jean-Jacques dans les CV examinés, c’est Jean-Jacques qui gagne. Mais s’il n’y a plus que des Mohammed, le plus obtus des employeurs devra finir par l’appeler. Merci qui ? Merci la pénurie !
Elle fait aussi en sorte que les employeurs se tournent plus volontiers vers des salariés en situation de handicap, vers les programmes d’insertion de décrocheurs. Aucune politique d’insertion sociale n’est plus efficace que la pénurie. Aucune.
La productivité augmente. La clé de notre richesse collective repose sur notre capacité à augmenter la productivité par heure travaillée. Depuis des décennies, Québec cherche avec un succès mitigé à pousser nos PME à innover, à améliorer l’outil de travail, à hausser le niveau de formation des salariés. Longtemps, l’existence d’une main-d’œuvre abondante et à bon marché a nourri chez ces employeurs une désolante paresse. Mais s’il manque désormais d’employés pour répondre aux commandes, que font-ils ? Ils doivent se résoudre à automatiser, à robotiser, à former les salariés pour opérer ces technologies. Et puisque ces nouveaux procédés sont plus verts, ils contribuent à notre combat contre le réchauffement climatique. Aucune politique publique d’innovation n’est aussi efficace que la pénurie de main-d’œuvre.
On rattrape l’Ontario. C’est l’obsession de François Legault. Faire en sorte que le salaire moyen québécois brut rejoigne l’ontarien. (Je dis « brut », car, ajusté au coût de la vie, notre salaire moyen net a rattrapé l’ontarien depuis un bon bout de temps.) Ses amis patrons l’implorent d’ouvrir les vannes de l’immigration, car il leur manque un ingénieur ici, un soudeur là, des informaticiens un peu partout. Il doit leur résister. C’est la pénurie qui pousse tous les salaires vers le haut. On ne s’attend pas à ce que le premier ministre l’admette. Seulement à ce qu’il le sache et qu’il agisse en conséquence. Pour l’enrichissement, contre la pauvreté et la discrimination, la pénurie est son meilleur allié.
